Nécessité de rechercher d'office la valeur locative

Charles-Edouard BRAULT,
Avocat à la Cour

Si le preneur ne démontre pas une modification notable à la baisse des facteurs locaux de commercialité et ne fournit aucune donnée tendant à établir que la valeur locative serait inférieure au loyer indexé, il appartient à la juridiction saisie de rechercher, au besoin d’office, si le loyer du bail renouvelé correspondait effectivement à la valeur locative.

Références : Cass. 3ème civ., 3 décembre 2003, EURL Lemut c/ Epx Berlan (pourvoi en cassation c/ l’arrêt rendu le 28 nov. 2001 par la Cour d’appel de Riom, ch. Com).

 

Note : Un incertitude est apparue sur les modalités de fixation du loyer en renouvellement à la suite de différents arrêts qui remettaient en cause le principe de la fixation du loyer à la valeur locative si elle s’avérait inférieure au prix plafond résultant de la variation de l’indice du coût de la construction.

Un arrêt de la Cour d’appel de Montpellier avait relevé l’absence de modification notable des éléments mentionnés à l’alinéa 2 de l’article L 145-33 du Code de commerce, et infirmé un jugement qui avait fixé le montant du loyer renouvelé à une valeur locative inférieure au prix indiciaire, en relevant que « les preneurs ne peuvent prétendre obtenir la fixation du loyer à une somme inférieure au loyer indexé » (C. Montpellier, 2e ch. B, 24 sept. 2002 : Gaz. Pal. n° spéc. Baux com., 17-18 oct. 2003, p. 40, note note).

De son côté, la Cour d’appel de Paris jugeait au visa des dispositions des articles L 145- 33 et L 145-34 du Code de commerce qu’en l’absence de modification des éléments de commercialité propres à avoir eu une incidence notable sur le commerce en cause, le loyer du bail renouvelé ne pouvait s’établir à la valeur locative et le jugement déféré devait être confirmé en ce qu’il avait fixé le loyer du bail au montant du loyer indiciaire (CA Paris, 16e ch. A, 12 fév. 2003 : Loyers et copr. 2003, comm. n° 178).

Ces décisions semblaient remettre en cause le principe posé par l’article L 145-33 du Code de commerce qui précise que le montant du loyer des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative selon les critères énumérés.

De son côté, l’article L 145-34 du Code de commerce dispose qu’à moins d’une modification notable des éléments mentionnés aux 1° à 4°, le taux de variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail renouvelé, si sa durée n’est pas supérieure à neuf années, ne peut excéder la variation de l’indice national trimestriel mesurant le coût de la construction publié par l’INSEE, et ce depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré.

Selon ces dispositions, la Cour de cassation rappelait que les juges devaient rechercher la valeur locative en précisant les éléments pris en considération (Cass. 3e civ., 9 fév. 1994 : Loyers et copr. 1994, comm. n° 200) et que cette valeur locative devait être retenue si elle s’avérait inférieure au loyer du bail expiré (Cass. 3e civ., 29 oct. 1996 : Gaz. Pal. 1997.1, p. 218, note P.H. Brault).

En l’espèce, l’arrêt déféré rendu par la Cour d’appel de Riom avait retenu qu’il était de principe que « lors du renouvellement, l’indice du coût de la construction constituait a priori la référence déterminant l’évolution de ladite valeur, sauf preuve contraire et dès lors qu’il revient au locataire qui conteste l’application de ce taux de variation, comme ne correspondant pas à la valeur durant la durée du bail renouvelé, de rapporter la preuve d’une valeur locative inférieure à la date de renouvellement, preuve à rapporter sur l’un ou plusieurs des éléments de détermination énumérés par l’article 23 ».

Selon la Cour d’appel, il appartenait donc au preneur de rapporter la preuve d’une valeur locative inférieure à la date du renouvellement en se fondant sur les éléments de détermination énumérés par l’ancien article 23 (art. L 145-33 du Code de commerce). Le preneur ne fournissant aucune donnée tendant à établir que la valeur locative serait inférieure pour des locaux équivalents, il avait été débouté de sa demande d’expertise.

Cette décision est cassée par la Cour de cassation qui rappelle qu’il convenait de rechercher, au besoin d’office, si le loyer du bail renouvelé correspondait effectivement à la valeur locative.

C’est en ce sens que la Cour de cassation avait déjà sanctionné une décision qui faisait application de la règle du plafonnement sans rechercher si le loyer du bail renouvelé correspondait effectivement à la valeur locative (Cass. 3e civ., 5 fév. 1992 : Administrer juil. 1992, p. 28, note J.D. Barbier).

On doit nécessairement approuver cette décision alors que les arrêts rendus par la Cour d’appel de Montpellier et par la 16ème chambre A de la Cour d’appel de Paris ne pouvaient que susciter d’importantes réserves au regard des dispositions des articles L 145-33 et L 145-34 du Code de commerce.

Nonobstant les dispositions relatives à la charge de la preuve et celles de l’article 146 du NCPC, la recherche de la valeur locative doit intervenir d’office et le recours à l’expertise s’avère inéluctable si le preneur ne démontre pas que la valeur locative serait inférieure au loyer résultant de la variation indiciaire.