Mise à jour de l’article L.145-14 du Code de commerce

Annotations et mise à jour – Mars 2014

 

Le statut des baux commerciaux dont les annotations sont rédigées par Messieurs PhilippeHubert BRAULT, Jehan-Denis BARBIER et Charles-Edouard BRAULT est publié sous l’égide de la Gazette du Palais la dernière édition étant datée « 2009 ».

A partir des annotations réalisées à l’époque et en prenant en compte l’évolution de la jurisprudence depuis lors, il a été procédé à la mise à jour d’un des textes essentiels du statut, en l’occurrence l’article L.145-14 du Code de Commerce qui régit la fixation de l’indemnité d’éviction.

 

TEXTE DU CODE DE COMMERCE

ANNOTATIONS ET JURISPRUDENCE
 

SECTION 4 DU REFUS DE RENOUVELLEMENT

 
     

Refus de renouvellement

 

 

Renonciation du bailleur ou promesse de renouvellement
 

Art. L. 145-14 – Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail. Toutefois, le bailleur doit, sauf exceptions prévues aux articles L. 145-17 et suivants, payer au locataire évincé une indemnité dite d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Cette indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

L’alinéa 1er de l’article L. 145-14 énonce que le bailleur a la faculté de refuser le renouvellement du bail : on ne peut donc le contraindre judiciairement à renouveler celui-cis’il exerce le droit de refus. Celui-ci procède d’un congé dont le bailleur prend l’initiative (art. L.145-9) de la réponse à une demande de renouvellement notifiée à la requête du preneur (art. R.145-10) ou de l’exercice du droit d’option (art. L.145-57).

Le refus a pour objet d’évincer le preneur, soit en lui versant l’indemnité d’éviction découlant des alinéas 2 et suivants de l’article L. 145-14, soit sans indemnité d’éviction si les motifs graves et légitimes (art. L.145-17) sont reconnus suffisamment graves et fondés par la juridiction saisie, comme dans l’hypothèse où le bailleur est reconnu fondé en sa dénégation du droit au bénéfice du statut des baux commerciaux.

Saisie de la validation des motifs de refus invoqués par le bailleur, une cour d'appel ne peut déduire du rejet des griefs invoqués par le bailleur que le bail serait renouvelé (Cas.3ème civ.25 novembre 2009 Loyers et copropriété 2010 com.109).


Le propriétaire peut toutefois renoncer par avance à refuser le renouvellement du bail (Cass. civ. 20 juin 1990, Gaz. Pal. 1990.2, panor. p. 212), en consentant une promesse de renouvellement dont la validité a été consacrée par la jurisprudence (Cass. civ. 27 octobre 2004, Loyers et copr. 2005, comm. 33, AJDI 2005 p. 572, obs. M.-P. Dumont).

Champ d’application  

La rédaction du texte ne laisse place à aucune ambiguïté : l’indemnité dont les critères d’appréciation sont définis par l’alinéa 3, doit procéder d’un refus statutaire notifié à la requête du bailleur selon les dispositions des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce. Ce texte s’avère donc inapplicable à l’indemnité allouée au preneur en cas de résiliation du bail aux torts du bailleur (cf. toutefois C. Riom, Ch. com., 20 octobre 2004, Juris-Data no 2004-258307), mais l'appréciation du préjudice subi par le preneur en cas de rupture unilatérale du bail par le propriétaire peut être appréciée selon les critères retenus pour déterminer l'indemnité d'éviction (C.Rennes 9 novembre 2011 AJDI 2013 p.42).

Cependant la fixation de l'indemnité d'éviction n'est pas exclusive de l'indemnisation d'un préjudice entrainé par l'inexécution par le bailleur de travaux lui incombant et indispensables à la poursuite de l'exploitation (C.Paris 16ème ch.B 11 mars 2004 Jurisdata n°2004-243514) de même d'ailleurs que de l'indemnisation dûe par le preneur pour inexécution de ses obligations d'entretien.

Préjudice causé au preneur   L’alinéa 2 de l’article L. 145-14 pose le principe que l’indemnité doit être égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement : c’est le cocontractant du bailleur, propriétaire du fonds à la date du congé, qui a vocation à percevoir l’indemnité et la locataire gérante ne peut y prétendre, même pour partie, et par la voie oblique (Cass. civ. 26 septembre 2001, Gaz. Pal. 2001.2, somm. p. 1927 – Administrer novembre 2002, p. 18, note J.-D. Barbier).
Obligation du bailleur : vente de l’immeuble  

C’est le bailleur, qui a pris l’initiative du refus de renouvellement, qui est tenu au paiement de l’indemnité, sans que la vente de l’immeuble ne puisse le décharger de cette obligation (Cass. civ. 25 avril 1968, Gaz. Pal. 1968.2.272, note Ph.-H. Brault ; Cass. civ. 27 octobre 1993, JCP, G, 1995, II, 22390, note B. Boccara, Rev. loy. 1994.105 ; Cass. civ. 10 décembre 1997, Administrer, mai 1998, p. 33, note J.-D. Barbier – AJDI 1998, p. 271, obs. G. Teilliais – H.Regnault, La vente de l’immeuble et les obligations du cédant et du cessionnaire à l’égard du preneur à bail commercial, Loyers et copr. 2008, étude 11)jurisprudence maintenue selon le principe rappelé désormais à maintes reprises (Cass. civ. 15 décembre 1999, Gaz. Pal. 2000.2. p. 1983, note J.-D. Barbier ; Cass. civ. 30 mai 2001, Administrer, octobre 2001, p. 45 – Rev. loy. 2001, p. 333, note C. Quément ; Cas.3ème civ. 13 septembre 2011 Gaz.Pal.2011 somm. 3064 obs.J.D.Barbier , Loyers et copr. 2011 com.300 obs. E.Chavance , C.Paris pôle 5 ch.3 16 mai 2012 Jurisdata n° 2012-010611).

Cependant, en présence d’une clause insérée dans l’acte de vente par laquelle l’acquéreur entend se substituer au vendeur avec référence explicite au refus de renouvellement précédemment notifié, le preneur, qui bénéficie alors d’une délégation imparfaite, peut réclamer le paiement de l’indemnité d’éviction à l’acquéreur (C. Paris, 15 septembre 2004, Gaz. Pal. 2005.1, somm. p. 1308, note Ph.-H. Brault, Administrer, juin 2005, p. 37, obs. B. Boccara), le vendeur n’étant tenu qu’en cas de défaillance de l’acquéreur (Cass. civ. 2 décembre 1998, Loyers et copr. 1999, comm. 71 ; cf. sur ce point B. Boccara, De la charge de l’indemnité d’éviction en cas de vente de l’immeuble, JCP, E, 1995.448 et J. Monéger, Loyers et copr. 2003, chronique no 5).

Date d’évaluation  

L’indemnité d’éviction doit être évaluée à la date la plus proche possible du départ du locataire, c’est-à-dire au moment où la juridiction saisie est amenée à statuer, si le preneur occupe encore les lieux loués (Cass. civ. 2 juin 1982, D. 1982, IR, p. 423 ; Cass. civ. 6 mars 1985, Bull. loyers 1985, no 256 ; Cass. civ. 19 février 1986, Rev. loy. 1986. 189 ; Cass. civ. 4 octobre 1994, Rev. loy. 1995. 21). Il faut prendre en compte l’évolution du fonds de commerce et par conséquent les exercices postérieurs à l’échéance du bail, comme à la date du dépôt du rapport d’expertise, et non pas réévaluer un chiffre d’affaires ancien (Cass. civ. 19 juin 1991, D. 1991, IR, 194 – Administrer mars 1992, p. 25, note J.-D. Barbier ; Cass. civ. 2 juin 1993, Loyers et copr. 1993, comm. 439, obs. C. Mutelet, Administrer décembre 1993, p. 26, note J.-D. Barbier ; en cas de baisse du chiffre d’affaire la dernière année, voir C. Versailles 23 novembre 2000, Loyers et copr. 2001, no 177). Ce principe a été rappelé par la jurisprudence récente ( Cas.3ème civ. 8 mars 2011 AJDI 2011.623 obs. D. Lipman-W.Boccara, Cas.3ème civ.28 septembre 2011 Jurisdata n°2011-020760)

Cette approche s’impose également pour apprécier la valeur du droit au bail : encourt la cassation l’arrêt qui, pour déterminer celle-ci, retient la date du refus de renouvellement, alors que la valeur des éléments du fonds de commerce doit être appréciée à la date à laquelle les juges statuent lorsque l’éviction n’est pas encore réalisée (Cass. civ. 24 novembre 2004, Administrer, janvier 2005, p. 34, obs. B. Boccara – JCP, E, 2005.359, note Ph.-H. Brault, D.2005 AJ.217, obs. Rouquet – Administrer, mars 2005, p. 23, note J.-D. Barbier)

Départ ou cessation d’activité du preneur  

Aucune disposition légale ou réglementaire ne fait obligation au preneur de poursuivre ses activités dans les locaux dont il est évincé, postérieurement à l’échéance du bail, par l’effet du congé ou de refus opposé par le bailleur : la restitution des locaux ne vaut pas renonciation à une indemnité d’éviction (Cass. civ. 3 novembre 1988, Rev. loy. 1989.380 ; Cass. civ. 13 juillet 1994, Loyers et copr. 1994, comm. 433, obs. C. Mutelet – Administrer novembre 1994, p. 29, note J.-D. Barbier – Gaz. Pal. 1994.2.703, note J.-D. Barbier – AJPI 1995.33, note Derruppé), dès l’instant où la cessation d’activité est la conséquence directe du refus de renouvellement (Cass. civ. 21 janvier 1998, JCP 1998, éd. E, panor. p. 395 – Rev. loy. 1998, p. 236, note Teillais – Rev. Dr. Immob. 1998, p. 308, obs. Derruppé),

Toutefois le preneur qui délaisse volontairement les locaux avant l'échéance du congé peut être privé du droit à indemnité d'éviction même si le congé délivré mentionnait l'offre de la payer au preneur évincé et ce faute par celui-ci de pouvoir prétendre s'être trouvé dans l'obligation de partir du fait des bailleurs (Cas.com. 2 novembre 1964 Bull.cas.III n°463) et ce même si le preneur avait excipé la nullité du congé (Cas.civ.29 avril 1987 Loyers et copr.1987 n°223). Tel serait le cas également en cas de restructuration de l'ensemble des activités du preneur (Cas.3ème civ.10 février 1999 Administrer juin 1999 p.25).

Ce principe s'applique même en cas de remise des clés par le mandataire liquidateur avant la date d'effet du congé (Cas.3ème civ. 29 septembre 2009 Administrer avril 2010 p.22 note J.D.Barbier).

Si le preneur renonce au bénéfice du maintien dans les lieux, l’indemnité d’éviction doit être appréciée en se plaçant à la date du délaissement des lieux loués (Cass. civ. 26 septembre 2001, Loyers et copr. 2001, comm. 292, obs. Ph.-H. Brault – Rev. loy. 2001.507, note Vaissié ; C. Versailles, 12e ch., 23 novembre 2000, Loyers et copr. 2001, comm. 177 ; C. Montpellier, 1ère ch., 18 février 2003, Juris-Data no 2003-213718) sans que l'absence de réinstallation effective du preneur évincé ne puisse utilement être invoquée par le bailleur pour contester le droit aux indemnités accessoires,en l'occurrence le remploi (C.Aix-en-Provence 11 février 2010 Loyers et copr. 2011 com.46 note Ph.H.Brault), mais sans remettre en cause le droit à l'indemnité principale ,il a été jugé que la cessation d'activité du preneur en décembre 2011 et sa radiation d'office du registre du commerce ,rendait la bailleresse fondée à lui opposer l'absence d'intention de se réinstaller de nature à le priver de toute indemnité accessoire (C.Paris Pôle 5 ch.3 16 janvier 2013 Jurisdata n° 2013- 000444).

Consistance du fonds : activités exercées  

Le principe posé par la Cour de cassation permet d’évaluer l’indemnité d’éviction en prenant en considération l’évolution du fonds comme du marché pendant la période de maintien dans les lieux. Mais la consistance du fonds, telle qu’elle découle des activités effectivement exercées par le preneur, doit être appréciée à la date d’effet du congé ou du refus de renouvellement (Cass. civ. 22 octobre 1993, Loyers et copr. 1994, comm. 160 ; Cass. civ. 21 janvier 1998, Gaz. Pal. 1999.1, somm. p. 141, obs. J.-D. Barbier ; Rev. loy. 1998, p. 236, note Teilliais).

Le chiffre d’affaires réalisé en développant une branche d’activité nouvelle, même autorisée par le bail, ne sera pas pris en considération, de même que le développement – même antérieur à l’échéance du bail – d’activités non autorisées par le bail (Cass. civ. 9 octobre 1972, AJPI 1974.613 ; Cass. civ. 1er février 1977, Gaz. Pal. 1977.1, somm. p. 165, Rev. loy. 1977.480 ; Cass. civ. 21 novembre 1990, Rev. loy. 1991.318, note Gallet ; Cass. 3ème civ. 9 avril 2013, Juris-Data n°2013-010483, Loyers et corpro. 2013 com. 179 note E. Chavance, Gaz. Pal. 2013, J. 2467, obs. CE. Brault), le silence du bailleur ne pouvant valoir acquiescement (Cass. 3e civ. 4 mai 2006, Loyers et copr. 2006, comm. 182, obs. Ph.-H. Brault – Gaz. Pal. 16 décembre 2006, p. 21, note J.-D. Barbier ; cf. également J.Cl. Bail à loyer, fasc. 1360, no 94 et suiv.)

Tel est le cas où le preneur éxerçait une double activité de laverie automatique et dépannage,cette dernière activité n'étant pas autorisée par le bail (T.G.I. Paris 26 janvier 2010 Gaz.Pal.Rec. 2010 Jur. p.2344 ; J n°198, 17 juillet 2010, p.49 I 2394, obs. Jacquin) , de même que dans le cas où un commerce de bazar est exploité alors que la destination contractuelle est limitée à la vente d'articles de Paris,maroquinerie,bimbeloterie et soldes de ces articles (C. Paris Pôle 5 ch.3 9 novembre 2011 Jurisdata n° 2011-024828).

Néanmoins, l’exploitation par le preneur de son fonds sous une nouvelle enseigne avant l'éviction et ce dans le cadre d'une restructuration des activités commerciales du locataire évincé ne serait pas de nature à lui faire perdre le droit à indemnité d'éviction (C.Montpellier 1ère ch.B 12 février 2008 Jurisdata n° 2008-359206).

La consistance du fonds peut prendre en considération sa globalité même si celle-ci implique d'autres locaux dont le délaissement découle de la perte du local dont le preneur est évincé (C.Paris pôle 5 ch.3 5 mai 2010 Jurisdata n° 2010-012060) ou une emprise aménagée en terrasse fermée réalisée sur la voie publique avec l'accord implicite du bailleur (T.G.I. Paris 18ème ch.2ème sect. 23 septembre 2010 Gaz.Pal. Rec. 2011, jur. p. 978 ; J. n°71, 12 mars 2001, p.37)

Fixation définitive de l’indemnité par la juridiction saisie  

Lorsque le preneur use de son droit au maintien dans les lieux jusqu’à fixation et paiement de l’indemnité d’éviction (art. L.145-28), les différents postes d’indemnisation, et notamment les indemnités dites accessoires (cf. infra), sont fixés à partir de l’estimation retenue par l’expert désigné par le tribunal : l’indemnité versée au preneur évincé selon la décision devenue définitive est en principe irréversible.

Le preneur ne peut donc arguer ultérieurement que l’indemnisation allouée ne lui a pas permis de se réinstaller pour tenter de remettre en cause l’indemnité qu’il a perçue à cet effet.

Cependant, dans l’hypothèse où le preneur ne prend manifestement aucune disposition pour se réinstaller, le propriétaire qui, d’ores et déjà auparavant dans le cadre de la procédure de fixation de l’indemnité d’éviction, avait contesté le principe et le montant des indemnités accessoires ainsi allouées, peut-il arguer d’une fraude et tenter d’obtenir le remboursement des sommes qu’il estime indûment perçues de ce chef ?

La Cour de cassation a censuré l’arrêt qui avait déclaré irrecevable une telle demande en estimant que la cause de la demande du bailleur constituée par la fraude commise par la société locataire et étayée par l’invocation de nouveaux éléments de fait était distincte de la cause de la demande présentée au Juge du fond, si bien que la Cour avait violé les dispositions de l’article 1351 du Code civil (Cass. civ. 26 septembre 2001, Administrer juin 2002, p. 29, note J.-D. Barbier – Gaz. Pal. 2002.1, somm. p. 77, obs. A. Jacquin).

Le bailleur ne peut invoquer, postérieurement à la décision définitive qui a fixé le montant de l'indemnité d'éviction, solliciter la révision de cette indemnisation en tirant argument de la réinstallation du preneur à proximité du fonds dont il a été évincé (C. Paris pôle 5 ch.3 29 septembre 2010 Jurisdata n° 2010-019415)

Cession du fonds après refus de renouvellement  

L’article L. 145-16 déclare nulle toute convention tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du statut des baux commerciaux à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise : il en découle que la cession peut intervenir, même postérieurement au refus de renouvellement notifié par le bailleur, dès l’instant où le cessionnaire accepte d’en assumer les conséquences : le cessionnaire devient alors créancier de l’indemnité d’éviction (Cass. civ. 2 juin 1982, Gaz. Pal. 1982.2, panor. p. 315 – Rev. loy. 1982.515), et la valeur marchande du fonds doit être déterminée en prenant en compte les modalités d’exploitation du fonds par le cessionnaire, compte tenu du principe posé par la Cour de cassation sur la date d’appréciation du préjudice (cf. supra).

Par l’acquisition du fonds de commerce exploité dans les locaux, l’acquéreur se trouve créancier de l’indemnité d’éviction due au cédant par le bailleur et il convient de rechercher la valeur marchande du fonds sans quele juge ne puisse fonder son appréciation sur la connaissance par l’acquéreur du caractère précaire de l’occupation et des risques encourus de ce chef (Cass. 3ème civ. 4 juin 2013, Société Ameublement Style et Contemporain c/ Lucchini et Autres (Pourvoi c/ Ca Bastia Ch. Civ. 16 novembre 2011) Juris-Data n°2013-013370 – Loyers et copro. 2013 com. 245 obs. Ph-H B., Gaz. Pal. 2013, J. 2468, obs. CE Brault)

Perte de la chose louée  

Postérieurement à l’échéance du bail par l’effet du congé ou de la demande de renouvellement notifié à l’instigation de l’une ou de l’autre des parties, le preneur peut se perpétuer dans les lieux loués en cas de refus de renouvellement, en invoquant le droit au maintien dans les lieux qui découle de l’article L. 145-28 du Code de commerce : en cas de perte partielle des lieux loués pendant cette période, il a été estimé que le preneur demeurait fondé à solliciter une indemnité en réparation du préjudice causé par l’éviction de la partie demeurée intacte (C. Paris 31 mars 1992, Administrer octobre 1992, p. 94).

En cas de perte totale, le locataire ne peut prétendre bénéficier d’un droit irrévocable au paiement de l’indemnité d’éviction et les dispositions de l’article 1722 du Code civil sont susceptibles d’être appliquées (Cass. civ. 4 janvier 1977, Gaz. Pal. 1977.1, somm. p. 165 – Rev. loy. 1977.151, note Viatte – AJPI 1977.636 ; Cass. civ. 29 septembre 2004, Gaz. Pal. 2004, somm. p. 3914 – Rev. loy. 2004, p. 628, note J. Prigent).

Plus récemment, il a été jugé que la résiliation de plein droit découlant de ce texte n'était pas contraire au principe constitutionnel du respect de la propriété privée et entrainait la perte des droits statutaires et contractuels du preneur entrainant la déchéance du droit à indemnité d'éviction dont le versement n'était pas définitivement acquis au preneur au jour du sinistre (Cas. 3ème civ. 29 juin 2011 Administrer aoûtseptembre 2011 p.27 note J.D. Barbier Gaz.Pal.2011. somm.3062 note C.E.Brault).

Les différents modes d’évaluation  

L’indemnisation du preneur s’apprécie différemment selon que l’éviction entraîne ou non la perte du fonds de commerce : dans le premier cas, il s’agit d’une indemnité de remplacement, dans le cas contraire, d’une indemnité de déplacement (cf. Loyers et copr. 2000, chronique n°3).

En outre, il faudra évoquer le mode d’indemnisation spécifique qui découle du transfert effectif des activités exercées dans les lieux loués à un autre emplacement, postérieurement à l’échéance du bail par l’effet de la demande de renouvellement ou du congé et avant la fixation définitive de l’indemnité d’éviction.

Perte du fonds de commerce   I – PERTE DU FONDS DE COMMERCE
Indemnité principale  

A – INDEMNITÉ PRINCIPALE

Elle peut découler soit de la valeur marchande du fonds de commerce ainsi qu'il résulte de l'article L 145-14 du code de commerce, soit de la valeur du droit au bail si celle-ci s'avère d'un montant supérieur conformément au principe mainte fois rappelé par la Cour de cassation.

Méthodes d’estimation  

1° - Valeur du fonds

L’indemnité principale, déterminée selon la valeur marchande du fonds, peut être appréciée selon plusieurs méthodes susceptibles d’être appliquées isolément ou conjointement : le texte légal n’impose aucun mode d’évaluation particulier.

De nombreuses études ont été consacrées à cette question soit qu'il s'agisse de comparer la méthodologie retenue encas de refus de renouvellement ou d'expropriation ( A. Boituzat AJDI 2010 p.287),soit pour analyser le mode d'appréciation retenu judiciairement ( C.Boismain AJDI 2012 p.725),soit dans le cadre de commentaires consacrés aux décisions rendues (A.Jacquin Sur les modes d'estimation des fonds de commerceGaz.Pal.2003 1.somm.p.2019), de même que les analyses consacrées à l'indemnité d'éviction dans les numéros spéciaux " Baux commerciaux" de la Gazette du Palais), soit à l'initiative des experts ( H.Sainsard Barêmes judiciairement retenus en matière de valorisation de fonds de commerce AJDI 2013 p.196, B.Robine Calcul de l'indemnité d'éviction : faut-il raisonner en stock ou en flux? AJDI 2011 p.89 ; A. Vasselin "Les fonds de commerce de pharmacie"Gaz.Pal. 2010 p.2521) et les magasins d'optique Gaz.Pal. 2010 p.2525, S. Fruchter "Les fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie" Gaz.Pal.2010 p.2527,M.Cornaton "Les fonds de commerce de restaurants-bars-brasseries" Gaz.Pal.2010 p.2530,F.Robine "Les fonds de commerce d'hôtels" Gaz.Pal.2010 p.2535,P.Colomer "Les fonds de commerce d'équipement de la personne" Gaz.Pal.2010 p.2539, C.Boismain "L'évaluation de l'indemnité d'éviction par les juges du fond" A.J.D.I.2012 p.725.)

Dans le cadre de l'évolution de l'expertise comme de la jurisprudence, deux modes se sont imposés au fil des ans : - la méthode traditionnelle fondée sur un barème d'origine fiscale impliquant l'application d'un coefficient multiplicateur au chiffre d'affaires moyen des 3 derniers exercices, - la méthode dite de la rentabilité qui à parti du résultat d'exploitation retraité constitue l'E.B.E. (Excédent brut d'exploitation)

Une décision isolée a entériné une méthode singulière proposée par l'expert consistant à additionner la valeur du droit au bail à celle de la clientèle et éventuellement aux valeurs résiduelles du matériel et des agencements (C.Paris Pôle 5 ch.3 26 septembre 2012 Administrer novembre 2012 p.40) mais en relevant que ce mode de calcul n'était pas sérieusement critiqué par les parties. Mais corrélativement, la prise en compte cumulée de la valeur du droit au bail augmentée de la différence entre l'excédent brut d'exploitation retraité et la valeur locative a été rejetée (C.Paris Pôle 5 ch.3 28 mars 2012 Administrer mai 2012 p.37) et il en est de même de la majoration de l'indemnité d'éviction d'une indemnité compensatrice du surcoût locatif auquel était exposé le preneur en cas de réinstallation (C. Chambéry ch.com. 2 décembre 2008 Jurisdata n° 08- 374256).

On ne peut citer les très nombreuses décisions rendues et souvent commentées dans les revues spécialisées auxquelles il convient de se reporter ( Gazette du Palais Numéros spéciaux Baux commerciaux,AJDI,Administrer..) de même que la Semaine Juridique entreprise (JCP E 2009.1434, JCP E 201.1498, JCP E 2011.1644, JCP E 2013.1388).

La méthode retenue pour apprécier l'indemnité de déplacement se réfère soit à l'une des approches sus-rappelées, soit à une application combinée des deux méthodes :

- certaines décisions appliquent au chiffre d'affaires moyen des 3 derniers exercices un coefficient conforme aux usages de la profession en raison de l'état de l'établissement, de la qualité de son emplacement comme de sa capacité bénéficiaire, cette dernière n'étant alors qu'un élément d'appréciation (TGI Paris 1er décembre 2011 Jurisdata n° 2011-034078, C.Paris Pôle 5 ch.3 24 février 2010 Jurisdata n°2010-003279),

- d'autres écartent la prise en compte de la ventilation du chiffre d'affaires habituellement retenue pour ce type d'activité (bar-brasserie) faute par le preneur d'en justifier par la comptabilité produite aux débats dans le cadre de l'expertise,pour retenir la seule méthode de l'excédent brut d'exploitation (C.Paris Pôle 5 ch.3 14 septembre 2011 Jurisdata n° 2011-018862 Administrer décembre 2011 p.35).

- d'autres soulignent qu'en l'absence d'une méthode scientifiquement sûre,la meilleure façon d'appréhender la valeur du fonds est de la rechercher par plusieurs méthodes en usage dans la profession, ce qui entraine l'application cumulée des 2 approches (C. Aix-en-Provence 17 juin 2010 Administrer novembre 2010 p.46) la moyenne des 2 évaluations étant alors retenue (C.Paris Pôle 5 ch.3 14 décembre 2011 Administrer avril 2012 p.36).

- certaines écartent la méthode des barèmes pour retenir celle de la rentabilité au motif que les parties s'accordent sur ce point ( C. Paris Pôle 5 ch.3 21 mars 2012 Loyers et copr. 2012 com.237 obs. E.Chavance)

- si l'écart entre la méthode du chiffre d'affaires et celle de l'excédent brut d'exploitation retraité est trop important,il convient de déterminer la valeur marchande du fonds selon le chiffre d'affaire moyen affecté d'un coefficient multiplicateur ( C.Versailles 12ème Ch. 9 mars 2013 Jurisdata n° 006526).

- lorsque le fonds est exploité en location gérance, l’estimation peut être fondée selon la finalité de ce mode d'exploitation du fonds par capitalisation de la redevance (TGI.Paris 12 mai 2000 Gaz.Pal.2000.2.somm.p.2329). Ce mode calcul découle d'une activité purement financière pour le bailleur, à défaut de l'établir l'indemnité d'éviction est déterminée selon l'approche habituelle ( Cf; pour un fonds d'animalerie C. Bordeaux 25 septembre 2012 Administrer janvier 2013 p.38).

Capacité bénéficiaire  

On soulignera:

- que le choix de la méthode retenue n'est pas tributaire de la nature des activités exercées dans les lieux loués, que l'appréciation de la valeur d'un fonds de commerce de vente au détail exploité en boutique peut susciter des interrogations dès lors qu'il fait partie d'un fonds intégré le preneur ayant pour activité la création de modèles, leur fabrication et leur distribution en gros ou au détail,

- que l'application de l'E.B.E. est parfois contestée notamment pour des commerces relevant d'une exploitation familiale,

- que le retraitement du résultat d'exploitation peut prêter à contestation de même que le coefficient multiplicateur dont la fourchette est d'une amplitude variable selon les experts et n'obéit à aucun barème susceptible de recoupements.

- qu'une autre méthode a été parfois préconisée consistant à additionner la valeur du droit au bail à celle de la clientèle et éventuellement aux valeurs résiduelles du matériel et des agencements retenue par la Cour bien que l'une des parties ait fait observer qu'elle était contraire à la jurisprudence (C.Paris Pôle 5 ch.3 26 septembre 2012 Administrer novembre 2012 p.40 obs. A.G.).

T.V.A.  

La valeur marchande doit être déterminée selon les usages de la profession (Article L 145-14 al.2) : si l'on a recours à la méthode des barêmes, ceci implique que l'on prenne en considération un chiffre d'affaires moyen H.T. ou TTC. Si les tableaux de références font apparaitre un coefficient appliqué à un chiffre d'affaires TTC. c'est ce mode de calcul qui doit en principe être retenu (Cas.3ème civ.15 juin 1994 Administrer novembre 1994 p.30 note J.D.Barbier Loyers et copr.1995 comm.165 note Ph.Brault) à moins qu'il ne soit établi que le montant taxes incluses ne soit retenu que pour les transactions amiables (Cas.3ème civ.17 décembre 2003 Loyers et copr.2004 com.34 obs Ph.Brault Administrer mars 2004 p.29 obs.Boccara).

Néanmoins le débat se poursuit dans la mesure où il est soutenu que la réparation d'un préjudice implique de prendre en compte le seul chiffre d'affaires de l'entreprise bien que les barèmes fassent référence le plus souvent à un chiffre d'affaires TTC :

- en faisant mention du barème (100% du C.A. TTC.),la Cour rectifie le pourcentage appliqué par l'expert à hauteur de 1OO% sur le C.A.moyen HT. pour le porter à 120% (C.Paris pôle 5 ch.3 13 décembre 2012 Administrer février 2013 p.39)

- La TVA est exclue dans la mesure où les comptes sont tenus hors-taxes et les fonds de commerce proposés à la vente faisant apparaitre des C.A. HT.(C.Paris Pôle 5 ch.3 14 décembre 2011 Administrer avril 2012 p.36), l'ajout de la TVA sur les prix de vente résulte d'une obligation fiscale prévue par le Code général des impôts (sic),la détermination d'une indemnité d'éviction sur la base de montants toutes taxes comprises conduirait à dénaturer le mécanisme compensateur alors que la TVA n'a pas vocation à entrer dans le patrimoine social et que son taux relève de décisions administratives et non de l'activité du commerçant (C. Aix-en-Provence 4ème Ch.C 21 octobre 2010 Administrer mars 2011 p.33 obs.A.G.).

- le chiffres d'affaires est retenu TTC. par référence au barème : pour un restaurant-pizzeria (C. Aix-en-Provence 20 janvier 2011 Administrer mars 2011 p.35), pour un café-bar-restaurant (TGI.Paris 14janvier 2010 Gaz.Pal.2010 somm.3586, C.Aix-en-Provence 6 mai 2011 Administrer août-septembre 2011 p.35),

- tandis que la référence à l'E.B.E. est seule retenue dans d'autres hypothèses : fleuriste (TGI Paris 18 février 2010 Gaz.Pal.2010 somm.1588), prêt à porter (C.Aix-en-Provence 21 octobre 2010 Administrer mars 2011 p.33), hôtel meublé ( C.Paris Pôle 5 ch.3 14 décembre 2011 Administrer avril 2012 p.36 ).

Application combinée de plusieurs méthodes (barèmes et EBE)   La détermination d’une valeur moyenne, à partir de l’utilisation de plusieurs méthodes, ne peut être retenue que si l’on aboutit à des résultats assez voisins permettant de souligner la cohérence de l’appréciation, dans le cas contraire, les estimations expertales peuvent être écartées, la Cour se référant à la méthode classique des usages professionnels fondée sur un pourcentage du chiffre d’affaires moyen des trois derniers exercices (CA Paris Pôle 5 ch. 3, 24 avril 2013, Gaz. Pal. N°24-26 nov. 2013, page 34, note A. Jacquin ; CA Versailles 12ème ch., 19 mars 2013, Gaz. Pal. N°24-26 nov. 2013, page 33, obs. Jacquin) (en ce sens également CA Aix-en-Provence 11ème ch. A, 25 fév. 2014, Juris-Datan n°2014-003213)
Pluralité de locaux  

L'existence d'une pluralité de locaux faisant l'objet de locations distinctes ne doit pas être confondue avec une pluralité d'activités éxercées par le preneur évincé en conformité avec la destination contractuelle : dans ce dernier cas l'indemnisation allouée doit prendre en compte toutes les branches du fonds exploité dans les lieux loués.

Lorsque le locataire exploite sous son enseigne de nombreux points de vente on peut s'interroger sur la perte du fonds exploité dans les lieux loués en raison d'un report éventuel de la clientèle vers d'autres points de vente : compte tenu d'une implantation en centre-ville et du relatif éloignement des autres boutiques, la Cour a retenu une perte du fonds (C. Versailles 3 mai 2012 Administrer juin 2012 p.38). S'agissant d'une succursale, constituée en principe par un établissement dûment immatriculé au registre du commerce comme établissement secondaire, l'indemnité doit être calculée selon les caractéristiques du fonds exploité dans les locaux faisant l'objet du refus de renouvellement (C.Paris 23 février 1993 Loyers et copr. 1993 com.310 obs Ph.Brault).

En présence de locaux faisant l'objet de baux distincts mais constituant un fonds unique,le bailleur qui refuse le renouvellement au titre de l'une des locations s'expose au paiement d'une indemnité correspondant à la perte globale du fonds dès lors que l'ensemble des locaux forme un outil technique indispensable et indivisible (C.Paris 19 mars 1988 Gaz.Pal.1989 1.somm.p.191 ; C.Paris Pôle 5 ch.3 13 janvier 2010 Administrer avril 2010 p.29 ): le principe de la réparation intégrale du préjudice subsiste ( Cas.3ème civ.16 décembre 1980 Gaz.Pal.1981.1.somm.p.130) et la prise en compte d'une dépréciation du fonds contigu peut également être retenue (C.Paris 16ème Ch.B 14 février 2003 Jurisdata n° 2003-207671).

Exploitation déficitaire   Le résultat déficitaire d’une exploitation n’est pas de nature à priver le locataire évincé d’une indemnité d’éviction (C. Lyon 12 janvier 2000, JCP 2001, éd. E., panor. p. 58) ; tel sera le cas si l’indemnité est fixée, par référence au barème professionnel, selon le chiffre d’affaires moyen réalisé pendant les derniers exercices (C. Paris 26 septembre 1995, Gaz. Pal. 1996.2, somm. p. 576), ou à défaut, selon la valeur du droit au bail (cf. infra et C. Paris 2 avril 1996, Gaz. Pal. 1996.2, somm. p. 577, obs.Jacquin ; C. Paris 6 juin 1997, Gaz. Pal. 1997.2, somm. p. 523, obs. Jacquin ; C. Riom, 6e ch., 12 janvier 2000, Juris-Data no 2000-123971 ; C. Paris 5 mars 2003, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 2023).
Valeur du droit au bail  

2° - Valeur du droit au bail

La valeur du droit au bail est un élément essentiel de l’appréciation de l’indemnité d’éviction : en cas de perte du fonds de commerce, la jurisprudence a posé le principe que l’indemnité principale est égale à la valeur marchande du fonds de commerce (cf. supra), à moins que la valeur du droit au bail ne soit plus élevée : dans ce cas, celle-ci doit être retenue (Cass. civ. 13 octobre 1993, Gaz. Pal. 1994.1.202, note J.-D. Barbier – Loyers et copr. 1994, comm. 74, obs. Ph.-H. Brault – Rev. loy. 1994.23 ; Cass. civ. 16 décembre 1997, RD imm. 1998.698, obs. Derruppé, Administrer avril 1998, p. 39, obs. B. Boccara ; Cass. 3e civ. 26 septembre 2001, Rev. loy. 2001, p. 506, note M.-D. Vaissié ; C. Paris 14 janvier 2004, Gaz. Pal. 2004.2, somm. p. 3440 ; C. Paris 10 janvier 2005, Gaz. Pal. 2005.2, somm. p. 4360), en vertu du principe selon lequel le fonds de commerce ne peut avoir avoir une valeur inférieure à celle d’un des éléments qui le composent (C. Paris 19 février 2003,Juris-Data no 2003-207670).

Ceci implique que ce mode d’appréciation ne puisse être écarté d’offıce par la juridiction saisie, dans le cadre de son appréciation du montant de l’indemnité d’éviction (Cass. civ. 18 février 1987, Gaz. Pal. 1987.1.367, note J.-D. Barbier ; Cass. civ. 31 mars 1992, Rev. loy. 1992. 283 ; Cass. civ. 11 juin 1992, Gaz. Pal. 1992.2, panor. p. 276, Loyers et copr. 1992, comm. 390 – Administrer janvier 1993, p. 23, note J.-D. Barbier).

Cette approche s'impose lorsque le preneur ne fournit pas les éléments comptables permettant de déterminer la valeur du fonds, la demande tardive d'une nouvelle expertise étant rejetée par la juridiction saisie (C.Paris Pôle 5 ch.3 16 février 2011 Administrer mai 2011 p.36) ou lorsque la faible rentabilité du fonds implique le recours à l'estimation de la valeur du droit au bail, sans que le bailleur ne puisse reprocher aux juges du fond de ne pas avoir étudié les éléments comptables ( Cas.3ème civ.17 octobre 2012 Administrer décembre 2012 p.42 note J.D.Barbier)

 
Modalités d’appréciation  

L’évaluation de la valeur du droit au bail a fait l’objet de nombreuses études (F. Robine, La détermination de l’indemnité d’éviction, AJDI 1999, p. 1215 ; Ph-H. Brault, Sur le mode de calcul de l’indemnité d’éviction en présence d’activités dites transférables : principes et évolutions de la jurisprudence, Loyers et copr. 2003, chr. 8 ; F. Robine et A. Soudant, Quelques aspects techniques de l’estimation de l’indemnité d’éviction, Gaz. Pal. 15 décembre 2006, p. 3 ; P. Colomer Gaz.Pal.2007.2 Doct.3981) et on a retenu, tour à tour, un coeffıcient égal aux neuf années du bail renouvelé (méthode différentielle dite intégrale), un coeffıcient découlant de la capitalisation du différentiel annuel prenant en considération la jouissance immédiate par le preneur évincé d’une indemnité compensatrice d’un préjudice échelonné sur neuf ans (C. Paris 9 juin 1989, Gaz. Pal. 1989.2, somm. p. 402, note Ph.-H. Brault ; TGI Paris 1er mars 1994, Gaz. Pal. 1994.2, somm. p. 33, obs. A. Jacquin), puis d’une façon désormais constante l’application au différentiel annuel d’un coeffıcient dit multiplicateur dont le fondement fait l’objet de débats (cf. infra).

Cette méthode implique la prise en considération de plusieurs paramètres :

− le montant du loyer annuel du bail s’il avait été renouvelé,

− la valeurlocative des locaux vacants, c’est-à-dire le prix de marché,

− en cas de différentiel positif découlant d’une valeur de marché supérieure au loyer du bail renouvelé, l’application d’un coeffıcient multiplicateur variable selon la situation et les caractéristiques des locaux (cf. sur ce point J.Cl. Bail à loyer, fasc. 1360, no 107 et suiv.)

Loyer en renouvellement  

Pour déterminer le premier paramètre, il faudra rechercher dans quelles conditions le loyer du bail échu aurait été fixé en renouvellement : aurait-il été ou non plafonné selon la variation indicielle (art. L. 145-34), dans l’affırmative la valeur locative serait-elle inférieure au prix plafond, en cas de déplafonnement le loyer aurait-il été déterminé selon les critères définis par le statut (art. L. 145-33) : d’une façon générale, c’est le bénéfice du plafonnement en renouvellement qui a une incidence directe sur la valorisation du droit au bail (C. Paris, 14 janvier 2004, Gaz. Pal. 29 septembre 2004, p. 43 ; C. Paris, 16e ch. A, 18 février 2004, JurisData no 2004-238346 ; C. Paris 29 juin 2005, Gaz. Pal. 2005.2, somm. p. 4360 ; TGI Paris 28 novembre 2002, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 2022).

Il a été jugé que la fixation du loyer initial selon un prix de marché, que la Cour définit comme une valeur subjective, n’est pas de nature à exclure une valeur de droit au bail déterminée selon les critères habituels (C. Paris 30 janvier 2004, Loyers et copr. 2004, comm. 93, obs. Ph.-H.Brault, Administrer mai 2004, p. 25).

Même si les conditions du renouvellement doivent être déterminées à la date d’échéance du bail par l’effet de la demande de renouvellement ou du congé, il faut prendre en compte, le cas échéant, le laps de temps écoulé jusqu’au jour de la fixation du préjudice, selon le principe posé par la Cour de Cassation (Cass. civ. 24 novembre 2004,JCP, E, 2005.359, note Ph.-H.Brault précitée).

La valeur locative de marché  

Elle doit correspondre au loyer susceptible d’être perçu par le propriétaire en cas de relocation des locaux litigieux devenus vacants : ceci découle des éléments de recoupement fournis à la juridiction saisie par les parties ou par l’expert commis à cet effet.

La jurisprudence exclut la prise en considération de simples propositions reçues par le preneur (Cass. civ. 24 mars 1993, Loyers et copr. 1993, comm. 226 ; C. Paris, 16e ch. A, 15 février 1994, Loyers et copr. 1994, comm. 244, obs. Ph.-H. Brault)

En ce qui concerne les éléments de comparaison, faut-il prendre en considération le droit d’entrée versé à la prise de possession des lieux par le preneur, ou le prix de cession du droit au bail ? Une controverse existe sur ce point (cf. J.-P. Mignot, Décret du 30 septembre 1953 : Quelques observations techniques, Gaz. Pal. 1999.1, doctr. p. 385 ; J.-D. Barbier, Contre la décapitalisation, Gaz. Pal. 2002.1, doctr. p. 215 ; F. Robine, La décapitalisation, le coq et le dindon, Gaz. Pal. 2002.1, doctr. p. 217).

Loyer différentiel et coefficient applicable  

- le coefficient multiplicateur :

Selon cette méthode traditionnelle, le loyer différentiel, s’il est positif, sert d'assiette de calcul à la valeur du droit au bail tributaire d'un coefficient multiplicateur lié à l'emplacement et aux caractéristiques des locaux : celui-ci est donc variable selon qu'il s'agit d'une boutique, de locaux à usage d'ateliers ou d'un entrepôt ainsi qu'il résulte de multiples décisions publiées dans les revues spécialisées (le coefficient est de 3 à 4 pour des locaux d'activités à 9 ou 10 pour des boutiques remarquablement bien situées).

(cf sur le choix et l’appréciation critique du coefficient multiplicateur : CA Paris Pôle 5 ch. 3, 15 mai 2013, Gaz. Pal. Droit des Baux Commerciaux n°24-26 novembre 2013, page 3e, obs. Jacquin) 

Cependant cette approche estimée aléatoire par certains (cf. C. Boismain AJDI 2012 p.725) est remise en cause soit par un recoupement selon un prix de cession au M2,soit par la prise en compte d'autres paramètres (C.Colomer "Droit au bail et droit d'entrée des boutiques: quels coefficients appliquer ?"AJDI.2010 p.872):

- prise en compte de droits d'entrée permettant de réduire le loyer exigibles pendant la durée du bail,

- de même que d'autres paramètres liés aux conditions d'obtention du déplafonnement à l'occasion des négociations préliminaires à une cession,

- affirmation que le coefficient multiplicateur est tributaire du prix et non de l'emplacement ou des caractéristiques des locaux dans la fourchette allant de 250€ (coef.2) à 5.5OO€ ou au delà (coef. 12).

On relèvera que cette méthode est tout aussi aléatoire que la précédente et ne fait pas l'objet en l'état d'une jurisprudence lui conférant une véritable crédibilité. (cf également P. Colomer « Destination contractuelle et droit au bail », Gaz. Pal. N°24-26 nov. 2013, page 17)

 

Cas particuliers   3° - Cas particuliers
Association  

Une association peut bénéficier d’une indemnité d’éviction dans l’hypothèse où elle exploite un fonds d’enseignement, selon les critères retenus par la jurisprudence en application de l’article L. 145-2 du Code de commerce.

Dans ce cas, l’indemnité principale sera calculée selon la valeur du droit au bail (TGI Paris 29 juin 1995, Gaz. Pal. 1996.1, somm. p. 196 ; TGI Paris 17 décembre 1996, Gaz. Pal. 1997.2, somm. p. 418, obs. Jacquin)

Bail mixte   Lorsque le bail commercial présente un caractère mixte, dans la mesure où une partie des locaux est affectée à l’usage d’habitation, l’indemnité d’éviction doit être appréciée en prenant en compte l’ensemble des locaux, dans la mesure où la conclusion d’un bail unique permettait au locataire évincé de prétendre à un droit de renouvellement pour la totalité des locaux (Cass. civ. 1er octobre 1997, Loyers et copr. 1998, comm. 72 ; dans le même sens, TGI Paris 28 novembre 2002, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 2022).
Offre d’un local de remplacement  

Il faut distinguer l’offre portant sur tout ou partie des mêmes locaux et celle qui aurait pour objet d’autres locaux permettant le transfert du fonds, avec pour objectif, dans les deux cas, d’éviter la perte de celui-ci :

− dans la première hypothèse, il a été jugé que le locataire ne pouvait éluder une offre extra-statutaire, puisqu’il conservait son fonds de commerce et ne subissait aucune perte de clientèle, l’indemnité d’éviction devant être fixée en fonction de la seule privation de locaux en étages (C. Paris 24 mars 1995, Administrer octobre 1995, p. 28), mais la 16e Chambre A de la Cour de Paris (30 mai 1995, Administrer octobre 1995, p. 28) a estimé qu’en l’absence de tout accord du preneur sur une telle offre, celui-ci avait droit à une indemnité d’éviction portant sur tous les locaux visés par le bail litigieux, lequel avait un caractère indivisible ;

− dans la seconde hypothèse, la jurisprudence ne s’est prononcée récemment que sur l’indemnisation due en application de l’ancien article 10 du décret (art. L. 145-18 cf. infra ; Cass. civ. 13 mars 2002, Loyers et copr. 2002, comm. 207, obs. Ph.-H. Brault).

Perte du fonds de commerce : indemnités accessoires  

B – INDEMNITÉS ACCESSOIRES

L’article L. 145-14 indique que l’indemnité principale peut être « ...augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de commerce de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre... ».

   

Il est admis que la liste des éléments d’appréciation susceptibles d’être retenus ne présente aucun caractère limitatif, ni davantage impératif, dans la mesure où tel ou tel poste peut être retenu ou écarté, selon que l’on se trouve dans le cadre d’une indemnité de remplacement ou de déplacement.

Le texte légal mentionne le caractère éventuel des indemnités accessoires ce qui est l'origine de contestations fréquentes qui concerne le droit à l'indemnité de remploi,la réparation du trouble commercial ou l'indemnisation de frais de réinstallation autrefois exclue en cas de perte de fonds de commerce (cf.J.P.Dumur Les indemnités accessoires dues par le bailleur au preneur évincé AJDI 2011 p.201).

Indemnité de remploi  

− Indemnité de remploi :

   

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’assurer par avance le financement du coût d’acquisition d’un autre fonds de commerce équivalent, ce qui implique le paiement de droits de mutation découlant du tarif fiscal en vigueur, de même que des fraisinhérents à une telle transaction (frais d’agence ou frais d’acte)

Le barème fiscal des droits de mutation a évolué à la baisse depuis plusieurs années avec les conséquences qui en découlent, certaines décisions paraissent limiter ce poste au seul remboursement des frais de mutation, tandis que d’autres adoptent soit un taux forfaitaire global (8 à 10 %), soit une double indemnisation distinguant les deux postes susvisés (cf. sur ce point décisions publiées en sommaire et commentées par A. Jacquin dans les numéros spéciaux Baux commerciaux de la Gazette du Palais, de même qu’à la revue AJDI).

Le bailleur est tenu d'indemniser le preneur évincé d'un fonds non transférable des droits de mutation à exposer pour l'acquisition d'un fonds de même valeur,sauf s'il est établi que le preneur ne se réinstallera pas selon le principe rappelé par la Cour de cassation (Cas.3ème civ.18 décembre 2012 Loyers et copr.2013 com.115 obs.Ph.Brault Jurisdata n° 2012-030332) : c'est au bailleur d'établir la preuve que le preneur n'entend pas se réinstaller (Cas.3ème civ.16 juin 1993 Loyers et copr.1993 com.438 obs.Ph.Brault).

L'âge du preneur ne peut en lui-même justifier le rejet de la demande d'indemnisation des frais de remploi (C.Paris 16ème Ch.A 8 décembre 2004 Jurisdata n°2004-263089 ; C.Paris Pôle 5 ch.3 21 nov.2012 Gaz.Pal.2013 n° spécial Baux commerciaux 19 et 20 avril p.35 obs. Jacquin) mais l'exclusion est encourue si le locataire a indiqué qu'il entendait faire valoir ses droits à la retraite en reconnaissant sa cessation d'activité (Cas.3ème civ.3 octobre1991 Loyers et copr.1991 com.474 - Cas.3ème civ.8 juin 1995 Rev.loy. 1995 p.458) ou si l'entreprise évincée a été placée en liquidation judiciaire (Cas.3ème civ.26 septembre 2001 Loyers et copr.2001 com.292- TGI Paris 9 janvier 2003 Gaz.Pal. 2003.1 somm.p.2022 - C.Paris Pôle 5 ch.3 19 janvier 2011 Jurisdata n° 2011- 000583).

Le fait que le fonds soit exploité en location-gérance n'est pas de nature à démontrer qu'en cas d'éviction,le preneur n'entendrait pas se rétablir (TGI.Paris 18ème Ch.2ème sect.23 septembre 2010 Gaz.Pal.2011.somm.980 obs.Jacquin)

En cas de délaissement des lieux loués postérieurement à la date d'effet du congé (cf.supra) La remise des clés au bailleur sans réinstallation dans l'intervalle ne peut davantage justifier un refus de payer l'indemnité de remploi,le preneur restant dans l'attente de percevoir l'indemnité dûe (C.Paris 5 septembre 1997 Gaz.Pal. 1998.1.somm.p.237 note A.Jacquin - C.Aix-en-Provence 4ème ch.C 11 février 2010 Loyers et copr.2011.com.46 obs.Ph.Brault).

Perte sur stocks    - Perte sur stocks :
    Lorsqu’un fonds de commerce de vente au détail doit cesser ses activités dans les délais assez brefs imposés par la procédure d’éviction elle-même (art. L. 145-29 C. com.), une indemnisation spécifique peut être accordée pour perte de stocks : toutefois, celle-ci a été refusée, faute pour le preneur d’apporter la preuve de l’importance du stock, ni de la nécessité de le vendre à perte, alors qu’il avait déjà inscrit la dépréciation du stock dans ses bilans comptables (C. Paris, 16e ch. A, 13 février 2002, Juris-Data no 2002-173180) ; pour le surplus, on se reportera aux décisions publiées en sommaire dans les numéros spéciaux Baux commerciaux de la Gazette du Palais avec les annotations d’André Jacquin.
Indemnité de déménagement   − Indemnité de déménagement :
   

En cas de perte de fonds de commerce, il a été admis pendant longtemps que l’indemnité d’éviction correspond à la valeur du fonds de commerce et inclus par conséquent les équipements et mobiliers, seul le déménagement de meubles ou effets personnels appartenant au preneur évincé et se trouvant dans un local d’habitation, notamment dans l’hypothèse d’une location à caractère mixte, étant susceptible d’être indemnisée (C. Paris 5 fév. 1981, D. 1981 IR 377 ; CA Paris 16ème ch. A, 13 juin 1995, JurisData n°1995-022122).

Néamoins, une parie de la jurisprudence paraît considérer qu’en raison du caractère indemnitaire on ne se trouvait pas en présence d’une cession de fonds, le versement de l’indemnité d’éviction n’entrainant pas pour le preneur l’obligation de délaisser au propriétaire le mobilier garnissant les lieux loués (C. Paris 17 juin 1994, Administrer Mars 1995 pge 33 obs. B. Boccara, Gaz. Pal. 1995 I som. page 47 note Ph.-H. Brault), certaines décisions paraissant considérer que les locaux doivent être restitués vides au bailleur (cf. CA Paris 16ème ch. A, 19 fév. 2003, JurisData n°2003-207670).

Devant l’ambiguïté que peuvent présenter certaines décisions à cet égard (CA Paris 16ème ch. A, 20 mai 2009, Administrer oct. 2009 page 50), il est souhaitable que les parties et leurs conseils prennent clairement position dans le cadre des opérations d’expertise afin de permettre, tant à l’expert qu’aux juridictions saisies, de prendre position sur le mode d’appréciation de l’indemnisation sollicitée de ce chef selon l’hypothèse qui sera retenue, le cas échéant d’un commun accord entre les deux parties concernées.

Trouble commercial   − Trouble commercial :
   

Ce poste ne correspond pas à des critères clairement définis car le mode d’appréciation le plus souvent retenu ne permet pas de compenserle préjudice subi par l’entreprise évincée pendant le laps de temps nécessaire à l’acquisition d’un autre fonds (cf. sur ce point Les différents postes d’évaluation retenus au titre desindemnités accessoires, Loyers et copr. 2000, chronique no 3).

La jurisprudence récente retient, tour à tour, en cas de perte de fonds, une indemnité fondée sur les critères suivants :

− trois mois d’excédent brut d’exploitation (C. Paris, 16e ch. A, 14 janvier 2004, Gaz.Pal. 2004.2, somm. p. 3440) ;

− trois moisselon le dernier résultat d’exploitation (TGI Paris 9 mars 2004, Gaz. Pal.2004.2, somm. p. 3439) ;

− trois mois du bénéfice moyen des trois derniers exercices (C. Paris 10 janvier 2005, Gaz. Pal. 2005.1, somm. p. 4358) ;

− trois semaines de la masse salariale (C. Paris 11 mars 2004, Gaz. Pal. 2004.2, somm. p. 3440) ;

− trois mois de cash-flow (TGI Paris 23 mars 2006, Gaz. Pal. no 16 décembre 2006, p. 43).

Une indemnité forfaitaire peut être retenue, même en présence d’une exploitation déficitaire, et ce avec infirmation du rapport d’expertise (C. Paris 29 juin 2005, Gaz. Pal.2005.2, somm. p. 4360).

Ce poste d’indemnisation peut être écarté lorsque le preneur évincé cesse définitivement toute activité (cf. sur ce point C. Paris 2 avril 1996, Gaz. Pal. 1996.2, somm. p. 578, obs. A. Jacquin).

Frais de licenciement   − Frais de licenciement :
   

C’est essentiellement en cas de perte de fonds que la question se trouve posée depuis que la Cour de cassation a validé le remboursement, sur justificatifs de l’indemnité de licenciement versée au personnel licencié en raison de la cessation d’activité de l’entreprise (Cass. 3e civ. 15 mars 1977, Gaz. Pal. 1977.1, somm. p.165 ; Cass. civ. 2 février 1982, Gaz. Pal. 1982.2, panor. p.195 – Rev. loy. 1982.248 ; C. Paris, 5 septembre 1997, Loyers et copr. 1997, comm. 13, note Ph.-H. Brault – Gaz. Pal. 1998.1, somm. p.237, obs. A. Jacquin).

Il faut toutefois s'interroger sur l'étendue des obligations du bailleur : il semble admis que seules les indemnités de licenciement sont dûes et non les indemnités compensatrices des congés payés ou le préavis dûes en éxécution du contrat de travail (C. Paris Pôle 5 ch.3 21 novembre 2012 Gaz.Pal.2013 n° spécial Baux commerciaux 19-2O avril p.35).Toutefois la question demeure posée lorsque les salariés font l'objet d'un licenciement économique,l'acceptation par le salarié entrainant l'obligation pour l'employeur de contribuer au financement de l'allocation de reclassement (TGI.Paris 18ème Ch.2ème sect.16 septembre 2010 Administrer novembre 2010 p.48, Cass. 3ème civ., 9 nov. 2010, AJDI 2011 p.209 obs.D.Lipman-Boccara).

Même s'il est admis que les décisions statuant sur le montant de l'indemnité d'éviction indique que le remboursement sera effectué "sur justificatifs",il est prudent de solliciter en cours de procédure et le cas échéant dès les opérations d'expertise un état récapitulatif faisant apparaitre sauf à compléter ultérieurement les sommes susceptibles d'être dues par le bailleur.

Frais de réinstallation   − Frais de réinstallation :
   

L’alinéa 2 de l’article L. 145-14 indique que la valeur marchande du fonds de commerce constituant l’indemnité principale peut être augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation.

Ces derniers constituent habituellement l’une des indemnités dites accessoires en cas d’activités transférables (cf. infra) : alors qu'en cas de fixation d'une indemnité de remplacement, il est admis qu'aucune indemnisation n'est dûe au titre de la réinstallation ultérieure dès lors que la valeur du fonds est appréciée en l'état de ses agencements (C. Aix-en-Provence 11ème ch.A 26 octobre 2012 Administrer décembre 2012 p.52)

Cependant, par un arrêt du 21 mars 2007, la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation (Loyers et copr. 2007 com.129 obs. Ph.H.Brault, Administrer juillet 2007 p.24 note J.D.Barbier) a estimé qu'il fallait prendre en compte les frais de réinstallation pour évaluer le préjudice subi par le locataire évincé tant en cas de perte de fonds, qu’en cas de déplacement de celui-ci. On s'est interrogé sur la portée de cette décision dans la mesure où il était fait référence à de nouveaux locaux loués par le preneur en vue du transfert du fonds. La Cour de Paris a admis une demande d'indemnisation fondée sur la grande qualité des aménagements réalisés par le preneur évincé et la nécessité de supporter les frais d'une réinstallation couteuse tout en retenant un abattement sur l'estimation proposée pour tenir compte de la différence entre réinstallation et état neuf (C.Paris Pôle 5 ch.3 24 février 2010 Loyers et copr.2010 comm.168). Le Tribunal de Grande Instance de Paris a ultérieurement retenu une indemnisation fondée sur le coût des seules installations non amorties tout en excluant une indemnisation dans une autre hypothèses en estimant qu'il importe peu que le nouveau local ne présente pas les mêmes caractéristiques décoratives que le fonds délaissé (TGI.Paris 18ème ch.1ère sect.25 octobre 2011 et TGI.Paris 18ème ch.2ème sect.1er décembre 2011 Loyers et copr.2012 comm.172 note Ph.H.Brault). Une autre décision rendue par cette même juridiction (18ème Ch.2ème sect.8 septembre 2011 AJDI.2012 p.261 note D.Lipman W.Boccara) a retenu une indemnité appréciée à partir d'un devis reposant sur une remise à neuf intégrale de locaux livrés Plus récemment, la Cour de Paris a exclu,comme c'était le cas auparavant,tout indemnisation en appréciant l'indemnité dûe pour un fonds de restauration notamment au titre de frais d'agencement non amortis déjà prise en compte au titre de l'indemnité de remplacement (C.Paris Pôle 5 ch.3 16 mai 2012 Administrer juillet 2012 p.32). Les interrogations des juges du fond peuvent être rapprochées de l'arrêt rendu par la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation le 8 décembre 2012 (Jurisdata n°2012- 030332 Loyers et copr.2013 comm.115 obs P.H.B.) qui énonce d'une façon très explicite que le bailleur est tenu d'indemniser le preneur évincé d'un fonds non transférable des frais de réinstallation ... sauf s'il est établi que le preneur ne se réinstallera pas dans un autre fonds.

Perte d’une chance  

− Perte d’une chance :

La perte d’une chance peut constituer un chef du préjudice indemnisable (Cass. 3e civ. 3 juillet 2002, Gaz. Pal. 18 octobre 2003,somm. p. 35, note J.-D. Barbier)

Imposition pour plus-value  

− Imposition pour plus-value :

Le preneur ne peut solliciter le remboursement de l’imposition découlant des plus- values consécutives au paiement de l’indemnité d’éviction (Cass. civ. 25 novembre 1992, Loyers et copr. 1993, comm. 101 – Rev. loy. 1993, p. 36 ; Cass. civ. 15 juin 1994, Gaz. Pal. 1994.2.708, note J.-D. Barbier – Loyers et copr. 1995, comm. 165, obs. Ph.-H. Brault). La question fait toutefois l’objet de débats doctrinaux (V. D. Schmitt, Indemnité d’éviction et imposition de plus-values, Gaz. Pal. 15-16 avril 2005, doctr. p. 3 et Gaz. Pal. 20-21 mai 2007, doctr. p. 8)

Activités transférables   II – ACTIVITÉS TRANSFÉRABLES
Généralités   Il convient d’examiner sous cette rubrique l’incidence d’une éviction qui n’entraîne pas inéluctablement la perte du fonds qui s’avère donc « transférable ».
   

C’est en principe au bailleur qu’il incombe d’apporter la preuve d’une telle possibilité (C. Paris 11 avril 1995, Loyers et copr. 1995, comm. 279, obs. C. Mutelet), ce qui implique l’absence de perte significative de clientèle (TGI Paris 8 septembre 1992, Gaz. Pal. 1993.2, somm. p. 622). A défaut, l’indemnité ne peut pas être limitée à une indemnité de déplacement (Cass. 3e civ. 24 septembre 2002, Loyers et copr. 2003, no 39).

Certaines activités sont généralement considérées comme "transférables" (cf.infra) en raison de la nature des activités éxerçées par le preneur,la clientèle n'étant pas liée inéluctablement à l'emplacement occupé par l'entreprise ou dans la mesure où l'utilisation des lieux loués n'est pas liée à la présence d'une clientèle ( bureaux par exemple).C'est en principe à la juridiction saisie d'éxaminer dans cas les modalités d'exploitation du fonds selon lmes éléments d'appréciation qui lui sont soumis par le bailleur en vue d'obtenir une indemnisation inférieure à celle qui découlerait de la perte du fonds en s'interrogeant sur les conséquences qui en découlent pour la clientèle de l'établissement.

Certains commerces ne peuvent être transférés sans un agrément administratif : il a été jugé pour un commerce de snack-bar avec débit de tabac qu'en l'absence de tout agrément de l'administration des douanes sur un nouvel emplacement, la preuve d'une possibilité de transfert n'était pas établie ( Cas.3ème civ.18 janvier 2011 Administrer mars 2011 p.26 note J.D.Barbier) tandis que pour une pharmacie le transfert autorisé sur un autre secteur entraine la perte de la clientèle de proximité qui y est attachée et celui-ci ne peut intervenir que si le fonds n'a pas disparu (C.Paris Pôle 5 ch.3 23 juin 2010 Jurisdata n°2010-

Ce mode d'indemnisation subsidiaire implique que le preneur évincé se trouve dans les lieux ou ne se soit pas réinstallé lorsque la juridiction saisie statue sur le montant de l'indemnité d'éviction : dans le cas contraire, l'indemnité est fondée sur le préjudice réellement subi (cf.infra).

Ce mode d’indemnisation, avec les critères spécifiques qu’il induit, doit permettre de mieux cerner la réparation du préjudice du preneur évincé, dans la perspective d’une indemnisation inférieure à celle qui découle d’une perte du fonds : c’est ce que prévoit de façon explicite l’article L. 145-14 (cf. supra).

Exemples  

Sont des activités transférables : un bureau commercial d’un établissement industriel installé en province (TGI Paris 8 janvier 1991, Gaz. Pal. 1991.2, somm. p. 341), de l’annexe d’un fonds de bonneterie-confection utilisée comme dépôt (TGI Paris 15 janvier 1991, Gaz. Pal. 1991.2, somm. p. 342), un dépôt commercial d’une entreprise de jouets (TGI Paris 13 septembre 1991, Gaz. Pal. 1992.1, somm. p. 80), un fonds de vente d’articles de parapharmacie (TGI Paris 17 septembre 1991, Gaz. Pal. 1992.1, somm. p. 81), une agence de voyages (TGI Paris 3 octobre 1991, Gaz. Pal. 1992.1, somm. p. 82), une agence de travail intérimaire de notoriété nationale (TGI Paris 13 décembre 1991, Gaz. Pal. 1992.1, somm. p. 244), une prothésiste dentaire (TGI Paris, 13 mars 1992, Gaz. Pal.1993.2, somm. p. 385), un commerce d’édition et diffusion d’un annuaire et d’un journal (TGI Paris 15 décembre 1992, Gaz. Pal. 1993.2, somm. p. 388), un bureau d’étude et d’aménagements en bâtiment (TGI Paris 18 juin 1993, Gaz. Pal. 1993.2, somm. p. 625), un atelier de coupe de pièces de tissus (TGI Paris 29 octobre 1992, Gaz. Pal. 1994.1., somm. p. 248), une activité de fabrication, réparations et vente d’instruments de musique (C. Paris 7 décembre 1993, Gaz. Pal. 1994.1, somm. p. 254), un agent d’assurances (TGI Paris 21 juin 1994, Gaz. Pal. 1994.2, somm. p. 654), la vente de pièces détachées pour véhicules automobiles (TGI Nanterre 10 juin 1994, Gaz. Pal. 1994.2, somm. p. 657), un commerce de gros en bijouterie fantaisie (TGI Paris 5 avril 1994, Gaz. Pal. 1994.2, somm. p. 658) ou de tissus pour ameublement (C. Paris 31 mai 1994, Gaz. Pal. 1995.1, somm. p. 123, obs. Jacquin) ou de prêt-à-porter en gros (TGI Paris 28 novembre 2002, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 2022) ou de maroquinerie : fabrication et vente de ceintures essentiellement réservées aux professionnels (TGI Paris 10 mai 2001, Gaz. Pal. 2002.1, somm. p. 305) un commerce d’entretien, réparation et équipement et vente de véhicules et accessoires (C. Paris 29 juin 2005, Gaz. Pal. 2005.2, somm. p. 4360) ou l’activité de bijoutier-fabricant exercée dans un appartement en étages (TGI Paris 28 février 2002, Gaz. Pal. 2002.2, somm. p. 1284) ou celle de studio permettant l’enseignement du piano (TGI Paris 11 avril 2002, Gaz. Pal. 2002.2, somm. p. 1284) ou d'une école de musique destinée à des musiciens professionnels ayant une certaine notoriété (C. Paris Pôle 5 ch.3 19 janvier 2011 Jurisdata n° 2011-000578),une entreprise de travaux publics et particuliers dont l'activité se déroule sur des chantiers,son déplacement ne pouvant entrainer une perte de clientèle (C.Paris Pôle 5 ch.3 9 juin 2010 Jurisdata n°2010-017637),un photographe professionnel bénéficiant d'une bonne notoriété (C. Aix-enProvence 13 mai 2011 Administrer juillet 2011 p.36).

Alors qu'il s'agissait d'un fonds de vente au détail, vendant des produits de beauté et fournissant des soins cosmétiques, la perte du fonds a été exclue faute pour les locaux de constituer un fonds de commerce autonome en l'absence d'une clientèle propre et d'une comptabilité distincte de celle d'un autre emplacement où la clientèle se rendait indifféremment ( C.Nancy 2ème Ch.civ. 5 février 2009 Jurisdata n° 2009-O19268) ou locaux à usage de bureau et annexes notamment pour l’activité de banque et bureau de change (TGI Paris 29 janvier 1999 et 21 mai 1999, Gaz. Pal. 2000.1, somm. p. 1391).

Cependant, un certain nombre d'observations s'imposent en raison de la grande diversité de locaux concernés par l'indemnité dite de déplacement : tantôt il s'agira de bureaux dans l'acception traditionnelle du terme, tantôt il s'agira de locaux d'activités de nature très diverse ,tantôt de boutiques ( ceci concerne à la fois des locaux ayant la caractéristique d'une boutique où sont exercées des activités d'atelier, de grossiste de même que des locations dont l'activité exclut tout plafonnement en renouvellement comme c'est le cas des commerces assimilés à des bureaux...) Dans toutes ces hypothèses, l'indemnisation devra être déterminée selon les critères habituels par comparaison entre les prix de marché et le loyer qui eut été perçu en renouvellement (cf.supra) ( TGI.Paris 18ème ch.2ème sect.16 septembre 2010 Gaz.Pal.2011 J.985, C.Paris Pôle 5 ch.3 30 novembre 2011 Gaz.Pal. 2012 J 1718 obs.A.Jacquin,TGI .Paris 18ème ch. 1ère sect.17 janvier 2012 Gaz.Pal. 2012 J.1720).

Néanmoins,les locations concernant de véritables de bureaux font l'objet d'une controverse dans la mesure où le principe même de l'indemnisation de la valeur du droit au bail s'avère contesté au motif qu'il n'y aurait aucune différence entre le prix de marché des bureaux vacants offerts à la location et le prix fixé selon les critères posés par l'article R145-11 du code de commerce (cf. annotations de ce texte infra) : - on observera que ce postulat est contestable dans la mesure où le texte réglementaire ne fait aucune mention des prix de marché mais fait référence ".. aux prix pratiqués pour des locaux équivalents", - certaines décisions ont retenu qu'il existe nécessairement une différence entre la valeur locative en renouvellement et les prix de marchés qui portent sur des locaux généralement rénovés et mis aux normes (C.Paris 16ème Ch.A20 juin 2007 Loyers et copr.2007 comm.177 obs.Ph.H.Brault, C.Versailles12ème Ch.21 mai 2013 Jurisdata n° 2013-011089), - d'autres l'excluent (TGI.Paris 18ème ch.2ème sect.14 janvier 2010 Gaz.Pal.2010 somm.3590) au motif qu'aucun élément sérieux n'est avancé quipermettrait de prendre en considération un éventuel différentiel entre le montant du loyer en renouvellement déterminé selon l'article R 145-11 et la valeur locative de marché (C.Versailles 12ème Ch. 26 mars 2013 Jurisdata n° 006544, C.Paris Pôle 5 ch.3 2 juin 2010 Administrer octobre 2010 p.51 Cas.civ.3 février 2009 et 12 novembre 2008 publiés dans Admin istrer Janvier 2009 et avril 2009).

Indemnité principale : valeur du droit au bail  

A – INDEMNITÉ PRINCIPALE : VALEUR DU DROIT AU BAIL

Dans cette hypothèse, l’indemnité principale est égale à la valeur du droit au bail, seule prise en considération par la jurisprudence : celle-ci sera déterminée conformément aux critères précédemment définis (cf. supra et Ph.-H. Brault, Sur le mode de calcul de l’indemnité d’éviction en présence d’activités dites transférables : principe et évolution de la jurisprudence, Loyers et copr. 2003, chronique no 8)

   

Néanmoins, deux observations particulières peuvent être formulées :

− d’une part, certaines activités dites transférables ne relèvent pas, en renouvellement, du droit commun (art. L. 145-34), mais de règles spécifiques : tel est le cas du loyer des locaux à usage exclusif de bureaux ou assimilés (art.R. 145-11 C com.), fixé en renouvellement selon des prix pratiqués pour des locaux équivalents, si bien que certaines décisions ont considéré que la valeur du droit au bail était nulle, avec les conséquences qui en découlent (C. Paris, 16e ch. B, 17 octobre 1997, Gaz. Pal. 1998.1, somm. p. 243 ; TGI Paris 28 février 2002, Gaz. Pal. 2002.2, somm. p. 1284). On rappellera que par un arrêt du 20 juin 1995 (Cass. 3e civ. 20 juin 1995, Gaz. Pal. 1995.2, somm. p. 559, note J.-D. Barbier), la Cour de cassation a rejeté le pourvoi dont elle était saisie à l’encontre d’une décision après avoir constaté que celle-ci avait souverainement retenu que les loyers des bureaux correspondant à la valeur locative, le preneur évincé ne subirait aucun surcoût financier en transférant ses activités. Mais d’autres décisions retiennent une valeur de droit au bail pour des bureaux (C. Paris 30 juin 2000, Rev. loy. 2000, p. 519, note Rémy – Administrer janvier 2001, p. 26, note B. Boccara) au motif qu’il existe nécessairement une différence entre la valeur locative en renouvellement et la valeur de marché pour une première location (C. Paris, 16e ch. A, 20 juin 2007, Loyers et copr. 2007, comm. 177, obs. Ph.-H. Brault).

S’agissant d’une boutique avec dépendances en étages et en sous-sol pour une activité bancaire, une valeur de droit au bail peut être retenue par la méthode différentielle habituelle (TGI Paris 29 janvier 1999 et 21 mai 1999, Gaz. Pal. 2000.1, somm. p. 1391).

− d’autre part, encore faut-il identifier les locaux pris en considération pour déterminer le différentiel de loyer selon la méthode habituelle : dans la mesure où il s’agit de déterminer une indemnité pour des activités dites transférables, le seul rapproche- ment possible paraît être celui qui découle des locaux objets de l’éviction, la comparaison devant être établie entre le loyer qui aurait été payé en renouvellement et la valeur locative de ces mêmes locaux vacants selon les prix de marché : c’est en ce sens que se prononcent la plupart des décisions rendues (TGI Paris 14 novembre 1995, Gaz. Pal. 1996.1, somm. p. 130, note J.-D. Barbier ; TGI Paris 28 février2002, Gaz. Pal. 2002.2, somm. p. 1284 ; TGI Paris 27 juin 2002, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 630 ; TGI Paris 28 mai 2002, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 628), et ce dans des conditions identiques à la démarche effectuée en cas de versement d’une indemnité de remplacement (cf. supra).

Or à deux reprises, la Cour de Paris a fait allusion à la valeur locative de locaux équivalents aux locaux évincés (C. Paris 3 février 1981, D. 1981, I.R., p. 392 ; C. Paris15 mai 2003, Loyers et copr. 2003, comm. 180) : ce dernier arrêt récuse d’une façon explicite l’argumentation du propriétaire qui avait fait valoir que l’assiette de calcul doit prendre en compte les locaux dont le preneur est évincé, la Cour de Paris estimant que la valeur locative à retenir est, non pas la valeur locative des locaux en cause comme le soutiennent les bailleurs, mais la valeur locative des locaux que la société locataire va devoir payer pour des locaux équivalents (cf.sur ce point étude précitée).

Même si une telle approche peut se concevoir dans une perspective strictement indemnitaire, ou après transfert effectif de l’entreprise, avant fixation définitive de l’indemnité d’éviction (cf. infra), il reste que la démarche appelle nécessairement des réserves, à moins que la notion de locaux équivalents n’ait seulement pour objet que de définir la référence au prix de marché qui doit nécessairement être retenu (cf. également sur ce point A. Jacquin, Indemnité d’éviction : quelques nouveautés jurisprudentielles, Gaz. Pal. 2004, doct. p. 266)

Indemnités accessoires  

B – INDEMNITÉS ACCESSOIRES

   

Lorsque les activités exercées dans les lieux loués peuvent être transférées par le preneur évincé, les postes d’indemnisation, à titre accessoire, ne sont pas identiques à ceux qui ont été précédemment examinés au titre de la perte du fonds.

Certains d’entre eux subsistent (frais de remploi, trouble commercial), tandis que d’autres vont apparaître (frais de déménagement et de réagencement des nouveaux locaux, perte partielle de clientèle...)

Indemnité de remploi   - Indemnité de remploi :
   

Les frais encourus par le preneur évincé découlent soit de l’acquisition d’un droit au bail, soit de la prise en location de nouveaux locaux : dans le premier cas, le preneur peut être astreint à payer des droits d’enregistrement, indépendamment des frais d’agence, tandis que dans la seconde hypothèse, il doit faire face à des frais d’agence, majorés le cas échéant des frais et honoraires de rédaction d’un nouveau bail.

C’est la raison pour laquelle l’évaluation retenue prend en compte généralement ces deux postes, soit en les différenciant, soit dans le cadre d’une appréciation globale (C. Paris 15 mai 2003, Loyers et copr. 2003, comm. 180), la juridiction saisie réajustant, à la date à laquelle elle statue, l’appréciation de l’expert précédemment commis, selon l’évolution généralement négative des taux d’enregistrement et selon les justificatifs apportés par l’une ou l’autre des parties. Il reste que les décisions publiées dans les différents numéros spéciaux de la Gazette du Palais témoignent de disparités d’appréciation assez sensibles, mais qui s’avèrent aussi tributaires de l’avis fourni par le technicien désigné par le tribunal, comme de la formulation retenue par les parties dans leurs écritures (cf. Ph.-H. Brault, Sur le mode de calcul de l’indemnité d’éviction en présence d’activités dites transférables, Loyers et copr. 2003, chronique no 8 et décisions publiées dans les numéros spéciaux de la Gazette du Palais : Gaz. Pal. 2001.1, somm. p. 641 et suiv. ; Gaz. Pal. 2001.2, somm. p. 1447 et suiv. ; Gaz. Pal. 2002.1, somm. p. 305 et suiv. ; Gaz. Pal. 2002.2, somm. p. 1284 et suiv. ; Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 628 et suiv. ; Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 2019 et suiv. ; Gaz. Pal. 2003.2, somm. p. 3312 ; Gaz. Pal. 2004.1, somm. p. 710 et suiv. ; Gaz. Pal. 2004.2, somm. p. 3439 et suiv. ; Gaz. Pal. 2005.1, somm. p. 1492 et suiv. ; Gaz. Pal. 2005.2, somm. p. 4358 et suiv. ; Gaz. Pal. 2006.1, somm. p. 2115 et suiv.).

Frais de déménagement   - Frais de déménagement :
   

Ce poste d’indemnisation, qui ne pouvait être que partiellement pris en considération dans le cadre d’une indemnité consécutive à la perte du fonds, doit dans cette hypothèse être pris totalement en considération, avec les conséquences qui en découlent : il incombe au preneur évincé de faire établir, par des entreprises spécialisées, un devis détaillé du coût d’un déménagement dans un périmètre restreint compatible avec la notion de transfert.

C’est sur la base de ces pièces justificatives que l’expert, puis la juridiction saisie, seront appelés à se prononcer.

On observera que ce poste est distinct des frais de réagencement qui peuvent inclure le transfert et la réimplantation, dans les nouveaux locaux, d’installations spécifiques, ce qui peut d’ailleurs entraîner des frais très importants dans certains cas (entreprise d’imprimerie...)

Frais de réinstallation   - Frais de réinstallation :
   

Ce poste, expressément prévu par l’article L. 145-14, permet au preneur de solliciter, dans le cadre du transfert prochain de ses activités, une indemnité permettant la réimplantation de son commerce dans de nouveaux locaux : là encore, il lui appartient d’apporter toutes les pièces justificatives requises et d’en établir la nécessité, tant dans le cadre des opérations d’expertises contradictoires, qu’en tout état de cause devant la juridiction saisie au fond de la fixation de l’indemnité (pour des aménagements spécifiques et des travaux de renforcement : Cass. 3e civ. 2 février 2000, Administrer mai 2000, p. 38, note B. Boccara).

L’appréciation de ce préjudice est liée à la nature des activités exercées par le preneur dans les locaux dont il est évincé, mais aussi aux éléments justificatifs produits : une indemnité a été allouée pour un commerce de grossiste en prêt- à-porter (TGI Paris 28 novembre 2002, Gaz. Pal. 2003,somm. p. 2022), un atelier d’imprimerie et photogra- vure (TGI Paris 30 mai 2002, Gaz. Pal. 2003.1, somm. p. 630), un studio d’enseignement du piano (TGI Paris 11 avril 2002, Gaz. Pal. 2002.2, somm. p. 1284), une salle de culture physique (TGI Paris 15 mai 2001, Gaz. Pal. 2002.1, somm. p. 305), un commerce de menuiserie, agencement, isolation acoustique et thermique (TGI Paris 30 juin 2000, Gaz. Pal. 2001.1, somm. p. 648), un bureau de change (TGI Paris 29 janvier et 21 mai 1999, Gaz.
Pal. 2000.1, somm. p. 1391), un atelier de confection (C. Paris 12 mars 1999, Gaz. Pal. 2000.1, somm. p. 1353), une activité de garde-meuble en entrepôt (C. Aix-enProvence 20 février 2003, Loyers et copr. 2003, comm. 180, 2e arrêt)

Cependant, la demande d’indemnisation peut aussi être rejetée, soit dans la mesure où aucune pièce justificative n’est fournie par le preneur évincé, soit dans la mesure où les aménagements exécutés par la société locataire font l’objet d’une clause d’accession sans indemnité au profit du bailleur dans des conditions exclusives de toute indemnisation en cas d’éviction (C. Paris 15 mai 2003, Loyers et copr. 2003, comm. 180, 1er arrêt), cette- dernière appréciation apparaissant pour le moins contestable (cf.sur ce point note Ph.-H. Brault précitée).

Trouble commercial   - Trouble commercial :
   

L’appréciation de ce poste peut revêtir des formes diverses et n’est pas exclusivement fondée sur les résultats de l’entreprise, retraités ou non, comme c’est le cas en cas de perte de fonds de commerce.

On voit en effet apparaître :

− l’indemnisation des frais de double loyer,
− la perte sur salaire ou improductivité du personnel,
− et ce, indépendamment de l’appréciation du trouble commercial sur les bases habituelles (résultat d’exploitation ou capacité d’autofinancement de l’entreprise aprèsretraitement de cette- dernière) (cf. supra)

La juridiction saisie apprécie souverainement s’il convient de retenir chacun des postes, ou dans le cadre d’une appréciation forfaitaire et globale :

− les frais de double loyer prennent en compte le fait que le preneur doit réaliser des opérations de déménagement et de réaménagement des nouveaux locaux, tout en conservant ceux dont il est évincé, jusqu’à ce qu’il puisse effectivement réaliser le transfert, une période allant de quinze jours à deux mois est généralement prise en compte : on observera que cette démarche se place davantage dans la perspective d’une éviction dont les modalités on été réglées amiablement, que selon la procédure instituée par l’article L. 145-29 du Code de commerce qui contraint le preneur à délaisser les lieux dans des délais pouvant être extrêmement brefs, sans se préoccuper un seul instant des modalités de recherche et de réinstallation dans de nouveaux locaux,

− la perte sur salaire ou improductivité du personnel peut être retenue à due concurrence d’une somme égale à une semaine, quinze jours, un mois, de la masse salariale, cotisations sociales incluses, ce qui implique que la juridiction saisie détienne toutesles piècesjustificatives requises à cet effet.

Frais de publicité et juridiques   - Frais de publicité et juridiques :
    Il s’évince des décisions publiées qu’une indemnisation complémentaire peut être allouée au titre des frais de publicité inhérents au transfert de l’entreprise, incluant le mailing à la clientèle, de même que les frais juridiques découlant du transfert du siège social ou de la création d’un nouvel établissement, avec les mesures de publicité qui en découlent (se reporter sur ce point aux décisions publiées en sommaire à la Gazette du Palais ou à l’AJDI).
Perte de clientèle   - Perte de clientèle :
   

Le transfert de l’entreprise peut entraîner une perte partielle de clientèle, dont l’appréciation est diffıcile, si le preneur évincé poursuit, dans les lieux loués, ses activités, dans l’attente du versement de l’indemnité d’éviction : l’importance de ce préjudice découle de la nature des activités concernées mais aussi des conditions danslesquelles le transfert sera ultérieurement réalisé.

Une indemnité pour perte partielle de clientèle ou de fonds de commerce est néanmoins accordée dans le cadre de la fixation de l’indemnité d’éviction dans différentes hypothèses et l’on se reportera à cet égard à la jurisprudence publiée en sommaire, tant à la Gazette du Palais qu’à l’AJDI.

Cas particuliers : transfert réalisé en cours d’instance  

III – CAS PARTICULIERS : TRANSFERT RÉALISÉ EN COURS D’INSTANCE :

   

Le preneur a la faculté, postérieurement à la date d'effet du refus de renouvellement, de prendre l'initiative de restituer les locaux dont il est évincé au bailleur (cf. supra sur le droit à indemnité d'éviction) et de transférer ses activités dans de nouveaux locaux pris à bail ou acquis à cet effet.

Dans ce cas la nature des activités éxercées dans les lieux importe peu et le préjudice doit être réparé en prenant en considération le préjudice effectif subi par l'entreprise.

1°) Indemnité principale : droit au bail:

C'est en principe la valeur du droit au bail qui constitue l'indemnité principale même s'il a été jugé qu'une perte de fonds pouvait être retenue en cas de transfert en dehors des limites du quartier compatible avec la notoriété de l'exploitant : en fait,il s'agit dans cette hypothèse d'une perte conséquente de clientèle ( C. Paris 4 février 1997 Gaz.Pal.1997.2 somm.p.525).

Ce sont en principe les caractéristiques des locaux délaissés qui doivent être pris en considération et non celles des nouveaux locaux ( en ce sens :C.Paris 17 octobre 1997 Gaz.Pal.1998.1.somm.p.243 ; C.Aix-en-Provence 20 février 2003 Loyers et Copr.2003 com.180 2ème arrêt ; C.Paris Pôle 5 ch.3 8 juin 2011 Administrer août-septembre p.33),mais d'autres décisions prennent en considération les modalités de prise à bail des nouveaux locaux ( C.Paris 15 mai 2003 Loyers et copr.2003 comm.180 1er arrêt ; TGI.Paris 18ème Ch.1ère sec t.29 octobre 2009 Gaz.Pal.2011 J. 2348 obs.A. Jacquin) mais en pratiquant un abattement du fait que les locaux de remplacement sont plus fonctionnels et mieux adaptés à l'activité du preneur évincé (C.Paris Pôle 5 ch.3 9 juin 2010 Loyers et copr.2011 comm.87 obs.Ph.H.B.). 

La jurisprudence ne retient pas le prix d'acquisition payé par le preneur à l'ancienne occupante mais prend en considération le prix de location des nouveaux locaux en réajustant les surfaces en fonction des disparités avec les locaux délaissés (C.Paris Pôle 5 ch.3 30 novembre 2011 Administrer mars 2012 p.35) et en relevant qu'aucune méthode n'était imposée au juge, une indemnité a été fixée àla suite du transfert d'un fonds de négoce de matériaux de construction en fonction de la rentabilité théorique de l'investissement correspondant à l'acquisition d'un terrain et l'édification du bâtiment requis pour la poursuite des activités (C. Rouen Ch.civ. et com. 19 janvier 2012 Jurisdata n°2012-008814)

La Cour de cassation (3ème civ.15 octobre 2008 Loyers et copr.2008 comm.281 obs.Ph.H.Brault, D.2008 AJ.2167 obs.Rouquet,Gaz.Pal.2009.2.3062 note J.D.Barbier) saisie d'un pourvoi formé à l'encontre d'un arrêt qui avait estimé que la valeur du droit au bail devait être appréciée en tenant compte des seuls locaux objets de l'éviction, a rejeté celui-ci en retenant que la Cour d'appel avait légalement justifié sa décision en usant de son pouvoir souverain pour évaluer,selon la méthode qui lui apparaissait la mieux appropriée,la valeur du droit au bail dès lors que le preneur s'était réinstallé dans des locaux équivalents ; en cas de transfert de bureaux à proximité immédiate, pour un prix équivalent à l’appréciation de la valeur locative des lieux loués par l’expert, la valeur du droit au bail est nulle (CA PARIS Pôle 5 – Chambre 3, 6 fév. 2013, Loyers et copro. 2013 com. 149 note Ph-H B).

2°) Indemnités accessoires :

Ce sont en principe les mêmes paramètres qu'il faudra retenir mais la réalité d'un préjudice devra être justifié et en particulier au titre de la perte de clientèle souvent controversée lorsque cette question est soulevée avant transfert.

- les frais de remploi sont retenus selon les pièces produites à cet effet par le preneur évincé de même que les frais administratifs, en ce y compris le cas échéant la taxe locale d'équipement (C. Aix-en-Provence 11ème Ch.A 5 octobre 2012 Administrer janvier 2013 p.36),

- il en est de même des frais de déménagement ainsi que du coût de la réinstallation dans les nouveaux locaux ( C.Paris Pôle 5 ch.3 Administrer aoûtseptembre 2011 p.33),mais parfois avec un abattement pour vétusté mais en prenant en compte les travaux et aménagements non amortis (TGI18ème Ch. 2ème sect.14 janvier 2010 Gaz. Pal.2010.J p.2349). Le locataire évincé ne pouvant plus amortir le coût des aménagements réalisés dans les lieux loués et n’ayant pas à supporter les frais d’une réinstallation coûteuse à proportion du degré d’amortissement des investissements qu’il abandonne par la contrainte, il a été jugé que c’est sans violer le principe de la réparation intégrale qu’une Cour d’appel a alloué une somme correspondant aux frais d’adaptation du nouveau local ainsi qu’à la valeur nette des immobilisations lors du départ des lieux (Cass. 3ème civ. 21 janv. 2014, Juris-Data n 2014-004695, Loyers et copr. 2014 com. 119 obs. Ph-H Brault).

- la perte de clientèle alléguée doit faire l'objet d'une étude comptable précise et le preneur s'expose naturellement à ce que le bailleur fasse valoir que celle-ci est la conséquence d'une erreur dans le choix du nouvel emplacement (C. Paris 16ème ch. A 10 novembre 2004 Juris-data n°2004-263090) : la demande peut être rejetée faute d'éléments probants (C. Paris Pôle 5 ch.3 8 juin 2011 Administrer août-septembre 2011 p.33) surtout en cas de transfert à proximité (C. Paris Pôle 5 ch.3 4 juillet 2012 p.42)

L’arrêt qui refuse d’évaluer le montant d’un préjudice, dont l’existence avait été constatée, au motif que bien que le transfert du fonds ait eu lieu, aucune facture justificative des frais réellement exposés à ce titre n’était produite aux débats, entraînant ainsi le rejet de la demande en paiement d’indemnité pour frais de déménagement et d’aménagement dans les nouveaux locaux, est censuré sur le fondement des articles L.145-14 du Code de commerce et 4 du Code Civil (Cass. 3ème civ., 17 sept. 2013, Loyers et copro. 2013 com. 315 note Ph-H B.).