Décisions récentes commentées par Maître Charles-Edouard BRAULT

 L’ACTION DU BAILLEUR N’INTERROMPT PAS LE DÉLAI DE PRESCRIPTION DE L’ACTION DU LOCATAIRE EN PAIEMENT DE L’INDEMNITÉ D’ÉVICTION (Cass. 3e civ., 3 novembre 2021, n° 20-20219) : 

En application de l’article L. 145-10 du code de commerce, le point de départ du délai de la prescription biennale de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction du locataire est la date de la signification du refus de renouvellement sans offre de paiement d’une indemnité d’éviction.

Le locataire n’ayant conclu au rejet des prétentions du bailleur tendant à voir valider le refus de renouvellement et n’ayant formulé une demande d’expertise en évaluation de l’indemnité d’éviction que plus de deux ans après la date de signification du refus de renouvellement, la cour d’appel en a exactement déduit que la prescription biennale était acquise et que l’arrêt jugeant que le bailleur ne justifiait pas d’un motif grave et légitime pour refuser le paiement d’une indemnité d’éviction n’avait pu avoir pour effet de faire naître au profit du preneur un nouveau délai de prescription. 

Dans cette affaire, un bail avait été consenti à effet du 1er janvier 2001, et le locataire avait signifié le 5 mai 2010 une demande de renouvellement de bail avec effet rétroactif au 1er janvier 2010.

Cette demande de renouvellement signifiée en cours de tacite prolongation ne pouvait naturellement avoir d’effet rétroactif, mais produisait ses effets pour un renouvellement à compter du 1er juillet 2010, premier jour du trimestre civil suivant cette demande, et ce selon les dispositions de l’article L. 145-12 du code de commerce.

Dans les trois mois de la demande de renouvellement, soit le 1er juillet 2010, le bailleur signifiait un refus de renouvellement valant refus de paiement d’indemnité d’éviction pour motif grave et légitime.

Le bailleur prenait ensuite l’initiative de saisir le tribunal d’une demande de validation des motifs de refus de renouvellement sans indemnité. Dans le cadre de cette procédure, ce n’est que par des conclusions signifiées le 7 novembre 2012 que le preneur sollicitait le rejet des prétentions du bailleur et la désignation d’un expert judiciaire aux fins de fixation de l’indemnité d’éviction.

Par jugement du 8 janvier 2014 le tribunal déclarait régulier le refus de renouvellement pour motif grave et légitime, et par arrêt du 17 février 2016 la cour infirmait le jugement en jugeant que le refus de renouvellement avait mis fin au bail mais que le bailleur ne justifiait pas d’un motif grave et légitime permettant de refuser le paiement d’une indemnité d’éviction.

Quelques mois plus tard, le bailleur saisissait à nouveau le tribunal afin de voir juger que le preneur était privé du droit à percevoir l’indemnité d’éviction faute d’avoir formé sa demande dans le délai de prescription biennale, soit avant le 30 juin 2012.

C’est dans ce contexte que la cour d’appel déclarait irrecevable comme prescrite la demande du preneur en paiement d’une indemnité d’éviction.

Dans son pourvoi, le locataire estimait que le délai de prescription biennale ne pouvait commencer à courir avant le jour où se trouvait définitivement consacré dans son principe son droit au bénéfice de l’indemnité, tandis que l’arrêt rendu le 17 février 2016 avait fait naître un nouveau délai de prescription permettant de former une demande d’indemnité d’éviction.

Il était également fait grief à la cour de ne pas avoir retenu que l’action en validation du refus de renouvellement introduite par le bailleur avait interrompu le délai de prescription biennale.

La Cour de cassation rejette logiquement le pourvoi en rappelant tout d’abord que le point de départ du délai de la prescription biennale de l’action en paiement de l’indemnité d’éviction correspondait à la date de signification du refus de renouvellement notifié en réponse à la demande de renouvellement, et ce en application des dispositions de l’article L. 145-10 du code de commerce.

On rappellera que le point de départ du délai de prescription biennale correspond à « la date pour laquelle le congé a été donné » lorsque le refus découle d’un congé du bailleur (Cf. art. L. 145-9 du code de commerce et Cass. 3e civ., 29 sept. 2010, n° 09-69712), tandis que le délai court « à compter de la date à laquelle est signifié le refus de renouvellement » lorsqu’il s’agira d’un refus formé par une réponse à une demande de renouvellement du bail (art. L. 145-10 du code de commerce)( Sur cette question : « Le statut des baux commerciaux », LGDJ éd. 2020 ; annot. sous L. 145-60, p. 299, et Cass. 3e civ., 3 nov. 2021, n° 20-18351).

En l’espèce, ce n’est que par conclusions du 7 novembre 2012 que le preneur avait contesté les motifs de refus de renouvellement sans indemnité d’éviction, et ces conclusions auraient été de nature à interrompre le délai de prescription si cette prescription n’était pas déjà acquise.

La réponse à demande de renouvellement ayant été signifiée le 1er juillet 2010, il appartenait au preneur de contester les motifs de refus de renouvellement ou de solliciter le paiement d’une indemnité d’éviction au plus tard le 30 juin 2012.

L’interruption de ce délai peut résulter d’une demande en justice qui produira ses effets jusqu’à l’extinction de l’instance, sans que le preneur ne soit contraint de former cumulativement une contestation du congé et une demande de paiement de l’indemnité d’éviction dans le délai de deux ans, puisque l’exercice d’une des actions conserve l’autre (Cass. 3e civ., 7 févr. 2019, n° 17-31807).

Cette interruption peut également résulter d’une contestation du congé et d’une demande de paiement d’indemnité d’éviction par conclusions signifiées avant l’expiration du délai de deux ans, notamment sous la forme d’une demande additionnelle, ou même de la reconnaissance expresse du bailleur du droit du locataire.

SANCTION DE LA CLAUSE D’INDEXATION ILLICITE (Cass. 3e civ. 12 janvier 2022, n° 21-11169, FS-B) :

1)  Aux termes de l'article L. 145-39 du code de commerce, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire.

D’une part, le propre d’une clause d’échelle mobile est de faire varier à la hausse et à la baisse, de sorte que la clause figurant au bail et écartant toute réciprocité de variation, si elle ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du code monétaire et financier, fausse le jeu normal de l’indexation.

D’autre part, la neutralisation des années de baisse de l’indice de référence a mathématiquement pour effet de modifier le délai d’atteinte du seuil de variation du quart, conditionnant la révision du loyer, tel qu’il résulterait de l’évolution réelle de l’indice.

Dès lors, la cour d’appel a exactement retenu que la clause d’indexation, excluant toute réciprocité de la variation en prévoyant que l’indexation ne s’effectuerait que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse, contrevenait aux dispositions de l’article L. 145-39 du code de commerce et devait être réputée non écrite par application de l’article L. 145-15 du même code.

2) Pour réputer la clause d’indexation non écrite en son entier, l’arrêt retient que l’intention du bailleur était d’en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l’indivisibilité de celles-ci et empêchant d’opérer un choix entre elles pour n’en conserver que certaines.

2) Pour réputer la clause d’indexation non écrite en son entier, l’arrêt retient que l’intention du bailleur était d’en faire, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement, toutes les stipulations de cette clause revêtant un caractère essentiel, conduisant à l’indivisibilité de celles-ci et empêchant d’opérer un choix entre elles pour n’en conserver que certaines.

En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Un important arrêt avait tranché le débat qui s’était développé sur l’illicéité des clauses d’indexation ne jouant qu’à la hausse (Cass. 3e civ., 14 janv. 2016, n° 14-24681, Loyers et copr. 2016, comm. 66, note P.-H. Brault), la haute juridiction renvoyant alors à l’appréciation « souveraine » de la cour d’appel pour la sanction de la stipulation illicite.

Peu à peu, la 3e chambre civile de la Cour de cassation a affiné sa position sur l’étendue de la sanction frappant les clauses d’indexation contraires aux articles L. 112-1 du code monétaire et financier et L. 145-39 du code de commerce. Dans le dernier état de cette évolution jurisprudentielle, seule la stipulation créant la distorsion prohibée par la loi doit être réputée non écrite (Notamment : Cass. 3e civ., 6 févr. 2020, n° 18-24599 : Gaz. Pal. 30 juin 2020, p. 67, note J.-D. Barbier ; Cass. 3e civ., 11 mars 2021, n° 20-12345 : Loyers et copr. 2021, comm. 93, note E. Marcet), de telle sorte qu’une cour d’appel ne peut réputer non écrite la clause en son entier sans caractériser l’indivisibilité alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite (Cass. 3e civ., 30 juin 2021, n° 19-23038).

L’arrêt rendu le 12 janvier 2022 confirme la tendance et la position de la Cour de cassation, et l’on reviendra succinctement sur la sanction de la variation à la hausse au regard des dispositions d’ordre public de l’article L. 145-39 du code de commerce avant d’évoquer la portée de cette sanction.

I – La variation uniquement à la hausse contrevient aux dispositions de l’article L. 145-39 du code de commerce

En l’espèce, la clause d’indexation litigieuse prévoyait notamment que « Cette indexation annuelle ne s’effectuera que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse du dernier indice, le loyer ne pouvant en aucun cas varier à la baisse (…) ».

Dès 2010, l’attention des lecteurs avait été attirée sur le fait qu’une clause d’indexation impliquait une réciprocité qui devait pouvoir entraîner une hausse ou une baisse de loyer, de telle sorte qu’une clause ne pouvant jouer qu’à la hausse faussait l’évolution normale du loyer permettant d’atteindre le seuil de déclenchement de la procédure de révision spécifique prévue par l’article L. 145-39 du code de commerce (C.-E. Brault, « Réflexions sur la pratique de la révision de l’article L. 145-39 du code de commerce » : Gaz. Pal. 12 mars 2010, p. 13).

Dans la présente affaire commentée, la Cour de cassation déboute le bailleur qui soutenait que la clause se bornait simplement à écarter l’application de l’indexation en cas de baisse de l’indice, ce qui ne contrevenait pas aux dispositions de l’article L. 145-39 du code de commerce qui ne prohibait nullement les clauses écartant ou limitant le jeu de l’indexation en cas de baisse de l’indice.

Selon cette argumentation, une stipulation retardant l’arrivée d’une augmentation du loyer supérieure à 25 % ne ferait pas échec au mécanisme de la révision légale mais seulement à sa mise en œuvre.

Mais c’est oublier que les dispositions relatives à la révision du loyer sont d’ordre public.

Si l’on devait considérer qu’une clause d’indexation ne variant qu’à la hausse ne serait pas contraire aux dispositions de l’article L. 145-39, divers aménagements pourraient alors être mis en œuvre et imaginés par les parties afin de faire échec à la révision et au seuil de 25 % permettant de déclencher la révision du loyer et son rééquilibrage à la valeur locative en cours de bail.

Ce serait alors la porte ouverte à toute stipulation contractuelle maintenant le loyer en-dessous du seuil de variation de 25 %.

La sanction est donc naturellement encourue, et la Cour de cassation maintient sa jurisprudence en relevant que la variation uniquement à la hausse de l’indexation contrevient aux dispositions d’ordre public de l’article L. 145-39 du code de commerce.

II – Portée de la sanction

La Cour de cassation accueille le moyen du pourvoi du bailleur qui reprochait à la cour d’appel d’avoir réputé non écrite la clause d’indexation en son entier.

Cette clause prévoyait également : « La présente clause d’indexation constitue une condition essentielle et déterminante sans laquelle le bailleur n’aurait pas contracté. En conséquence, sa non-application partielle ou totale pourra autoriser le bailleur et lui seul, à demander la résiliation du bail, sans indemnité quelconque au profit du preneur ».

Pour la cour d’appel, l’intention même du bailleur était de faire de cette clause d’indexation, sans distinction de ses différentes parties, une condition essentielle et déterminante de son consentement.

Il est vrai que la non-application de la clause aurait théoriquement pu conduire le bailleur à demander la résiliation du bail, ce qui confirmait que l’ensemble de ses termes revêtait pour lui un caractère essentiel.

Il en découlait selon le juge du fond une indivisibilité des termes de la clause empêchant d’opérer un choix entre eux pour n’en conserver que certains.

Cependant, et conformément à sa jurisprudence désormais établie, la Cour de cassation sanctionne le raisonnement en estimant que la motivation n’était pas propre à caractériser l’indivisibilité des stipulations contractuelles, tandis que seule la stipulation prohibée devait être réputée non écrite.

Pour apprécier l’étendue de la sanction, il faut se référer au caractère essentiel ou non de la stipulation litigieuse ainsi qu’à son caractère divisible ou indivisible.

Par cet arrêt, la Cour de cassation semble abandonner le critère du caractère essentiel et déterminant, pour ne retenir que celui relatif à l’indivisibilité de la stipulation contestée.

Or, le caractère « non écrit » ne doit frapper que ce qui contrevient expressément à la loi. Le reste de la clause, s’il peut subsister en dépit de l’amputation, demeure valable.

Cette approche est notamment conforme aux dispositions du code de la consommation relatives aux clauses abusives, le second alinéa de l’article L. 241-1 dudit code prévoyant que « le contrat reste applicable dans toutes ses dispositions autres que celles jugées abusives s’il peut subsister sans ces clauses ».

La haute juridiction adopte ces dispositions pour la sanction d’une clause d’indexation illicite, en estimant que le réputé non écrit doit être alors cantonné à la seule stipulation litigieuse.

EXTENSION D’UNE TERRASSE SUR LE DOMAINE PUBLIC ET MOTIFS DE DÉPLAFONNEMENT (Cass. 3e civ., 13 octobre 2021, n° 20-12901, n° 19-19285, FS-B) :

L’extension au cours du bail expiré de la terrasse de plein air devant l’établissement, installé sur le domaine public et exploité en vertu de l’autorisation administrative, ne peut être retenue comme une modification des caractéristiques des locaux loués, dès lors qu’elle ne fait pas partie de ceux-ci.

 L’autorisation municipale, en permettant d’étendre l’exploitation d’une terrasse sur le domaine public, contribue au développement de l’activité commerciale, et il appartenait à la cour d’appel de rechercher si cette situation modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait par là même un motif de déplafonnement

Durant la période de crise sanitaire, l’implantation de terrasses sur le domaine public a connu un véritable essor permettant la reprise et le développement des activités de restauration.

L’installation de ces terrasses permet d’augmenter, parfois très sensiblement, le chiffre d’affaires de l’exploitant, ce qui justifie, lorsque le loyer ne suit pas le règle du plafonnement, une majoration de la valeur locative en application des dispositions de l’article R. 145-8 du code de commerce.

Mais c’est également sous l’angle d’un motif de déplafonnement que cette question se trouve parfois évoquée, et l’arrêt rendu par la Cour de cassation présente un réel intérêt puisqu’il sanctionne une cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’extension d’une terrasse sur le domaine public ne constituait pas un motif de déplafonnement tiré de l’évolution des facteurs locaux de commercialité.

On examinera successivement les deux motifs de déplafonnement invoqués par les bailleurs à l’occasion de l’installation ou de l’extension d’une terrasse sur le domaine public.

I. - Terrasse sur le domaine public et modification des caractéristiques de lieux loués

Dans l’affaire commentée, il était tout d’abord fait grief à la cour d’appel d’avoir constaté que la brasserie bénéficiait d’une terrasse agrandie, dont l’expert judiciaire avait considéré qu’elle constituait un avantage exceptionnel par sa surface, tandis que le montant de la redevance payée était faible au regard du chiffre d’affaires élevé généré, puis retenu qu’il n’en résultait pas une modification notable des caractéristiques des lieux loués dans leurs conditions d’exploitation.

Ce moyen est rejeté, et la Cour de cassation approuve le juge du fond d’avoir retenu que l’extension de la terrasse de plein air installée sur le domaine public ne pouvait constituer une modification des caractéristiques des lieux loués, dès lors qu’elle ne faisait pas partie de ceux-ci.

Cette position doit être rapprochée d’un précédent arrêt statuant sur une demande de déplafonnement au regard de travaux d’implantation de deux vérandas vitrées et chauffées, pour lesquelles le bailleur estimait qu’ils avaient modifié la façade des lieux loués et constituaient, dès lors, une modification notable des caractéristiques des lieux loués justifiant le déplafonnement du loyer.

Mais la Cour de cassation avait approuvé les juges du fond qui avaient relevé que les travaux concernaient le domaine public et non les lieux loués, et qu’il n’en résultait pas de modification notable des caractéristiques des locaux, tandis que l’autorisation d’utiliser le domaine public présentait un caractère précaire (Cass. 3e civ., 25 nov. 2019, n° 08-21049).

C’est d’ailleurs en ce sens que se prononcent les juges du fond, dans la mesure où la terrasse sur le domaine public constitue un élément extrinsèque des lieux loués ne permettant pas de retenir une modification des caractéristiques propres des locaux (CA Paris, 25 sept. 2008 : Gaz. Pal. 7 févr. 2009, p. 35, note C.-E. Brault ; CA Caen, 2 févr. 2012, n° 10/02848).

II. - Terrasse sur le domaine public et modification des facteurs locaux de commercialité

Dès lors que l’installation ou l’extension d’une terrasse sur le domaine public ne peut s’analyser comme un élément intrinsèque aux lieux loués, il convient de s’interroger sur un motif de déplafonnement tiré de la modification des facteurs locaux de commercialité.

C’est ce second motif de déplafonnement qui avait été invoqué par le bailleur dans l’espèce rapportée. Il était fait grief à la cour d’appel de n’avoir pas recherché si, conformément aux constations de l’expert judiciaire, l’extension de la terrasse qui avait nécessairement une incidence favorable sur le commerce exploité ne justifiait pas le déplafonnement sur le fondement de l’évolution des facteurs locaux de commercialité.

Ce moyen est favorablement accueilli par la Cour de cassation qui relève que l’autorisation municipale permettant d’étendre l’exploitation de la terrasse avait contribué au développement de l’activité commerciale, de telle sorte qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher si cette situation modifiait les facteurs locaux de commercialité et constituait un motif de déplafonnement du loyer.

Il appartient donc à la cour de renvoi de se prononcer, tandis qu’un déplafonnement tiré de l’installation ou de l’agrandissement d’une terrasse sur le domaine public appelle nécessairement quelques réserves.

Une telle autorisation présente par nature un caractère précaire et révocable, tant au regard de l’autorisation elle-même que des aménagements pouvant faire l’objet de modifications décidées par la commune.

Par ailleurs, si les juges du fond devaient dorénavant considérer que l’extension d’une terrasse installée sur le domaine public peut entraîner le déplafonnement du loyer en renouvellement, cette position pourrait également être retenue pour la première installation de la terrasse et non simplement pour son agrandissement, et ce avec les conséquences qui en découlent sur le nombre de déplafonnements encourus…

DROIT DE PRÉEMPTION DU PRENEUR ET LOCAUX À USAGE DE BUREAUX (CA Paris, 1er décembre 2021, n° 20/00194) :

Les locaux à usage de bureaux ne sont ni inclus expressément ni exclus expressément du champ d’application de l’article L. 145-46-1 du code de commerce. 

Selon la clause de destination du bail, les locaux sont destinés à l’usage exclusif de bureaux, pour l’activité d’administrateur de biens, syndic de copropriété, locations, transactions, et cette activité est commerciale par application des dispositions de l’article L. 110-1 du code de commerce.

Les locaux étant affectés à un usage commercial, c’est à juste titre que le Tribunal a retenu que le locataire bénéficiait d’un droit de préemption lors de la vente des locaux loués.

La loi n° 2014-626 du 10 juin 2014 a introduit un droit de préemption au bénéfice du locataire d’un bail commercial prévu à l’article L. 145-46-1 du code de commerce, et ce à l’instar du dispositif prévu en matière de locaux d’habitation par l’article 15-II de la loi du 6 juillet 1989.

Il s’agit en réalité d’un droit de préférence en l’absence de faculté pour le locataire de discuter le prix et les conditions de la vente, même si ce droit est institué par la loi et non d’origine conventionnelle.

Le caractère impératif de ce nouvel article a justifié certaines controverses, et la Cour de cassation a érigé le droit de préemption du locataire en règle d’ordre public, de telle sorte qu’aucune clause du bail ne peut écarter ni réduire le mécanisme prévu (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-14605 : Gaz. Pal. 20 nov. 2018, p. 61 – Loyers et copr. 2018, comm. 201, note P.-H. Brault). C’est ainsi qu’une renonciation du preneur, prévue au bail, ne peut avoir opéré valablement puisqu’elle est au mieux concomitante à la signature de l’acte dont son droit procède (CA Bourges, 27 juin 2019, n° 18/01162).

La jurisprudence a été amenée à préciser le domaine de ce droit de préemption qui constitue une limitation pour le propriétaire d’un bien de contracter librement, de telle sorte qu’il doit s’interpréter strictement.

Si ce droit ne bénéficie qu’au « locataire » sans faculté de substitution au profit d’un tiers, l’arrêt commenté apporte un premier éclairage dans la mesure où les bailleurs entendaient se prévaloir de l’adage « la fraude corrompt tout » en invoquant un concert frauduleux entre la société locataire et une société de gestion en raison d’un projet immédiat de revente du local après exercice du droit de préemption par le locataire.

Cependant, la Cour relève qu’aucune fraude n’était caractérisée puisqu’aucun texte ne restreint le droit pour l’acquéreur d’un bien par l’exercice de son droit de préemption d’en disposer librement, même dans un délai rapproché, de telle sorte que la revente à une société juridiquement distincte procédait d’un choix de gestion et non d’une quelconque intention de nuire.

Mais c’est essentiellement sur le périmètre de ce droit de préemption et sur la précision de la notion de « local » objet de la vente que l’apport de cette décision est important.

Le droit de préemption doit porter sur un « local à usage commercial ou artisanal », ce qui exclut de ce fait les locaux à usage industriel puisque l’objectif poursuivi par la loi est de favoriser le commerce et l’artisanat.

Qu’en est-il pour les locaux à usage de bureaux ?

Le Sénat avait rejeté en première lecture un amendement n° 148 qui souhaitait étendre le droit de préemption aux bureaux. Dès lors, pour un bail soumis au statut des baux commerciaux avec une activité d’expert-comptable, une cour d’appel avait estimé, en l’absence de certitude et de position de la jurisprudence, qu’un notaire qui avait notifié le droit de préemption au locataire des locaux avait fait preuve de prudence nonobstant l’avis du Cridon, puisque le notaire devait assurer la sincérité et l’efficacité de son acte sans prendre le risque d’encourir une nullité (CA Aix-en-Provence, 20 nov. 2018, n° 17/04435)

En l’espèce, il s’agissait d’un bail à usage exclusif de bureaux pour une activité d’administrateur de biens, syndic de copropriété, locations et transactions, et les parties s’opposaient sur l’application de l’article L. 145-46-1 du code de commerce.

Pour le bailleur, l’usage exclusif de bureaux ne permettait pas au locataire de bénéficier du droit de préemption, tandis que l’atteinte au droit de propriété institué par ce droit impliquait une interprétation restrictive des dispositions de l’article.

La cour d’appel relève que les locaux à usage de bureaux ne sont ni inclus expressément ni exclus expressément du champ d’application du texte légal, tandis que le bailleur ne pouvait se prévaloir du rejet de l’amendement n° 148 visant à étendre ces dispositions aux locaux à usage de bureaux, dès lors que cet amendement ne visait que les bureaux de professionnels non commerçants pratiquant une activité libérale.

Pour la cour d’appel, il faut se référer à la clause de destination et à l’activité autorisée et exercée. Elle relève que l’activité est en l’espèce commerciale en application des dispositions de l’article L. 110-1 du code de commerce, de telle sorte que le locataire bénéficiait, en raison d’une affectation des locaux à usage commercial, du droit de préemption lors de la vente des locaux loués.

Le champ d’application du droit de préemption légal est donc ouvert aux locaux à usage de bureaux au sein desquels se trouve exercée une activité commerciale conforme à la destination contractuelle.

DROIT DE REPENTIR ET PROCESSUS IRRÉVERSIBLE DE DÉPART DES LOCAUX (Cass. 3e civ., 15 décembre 2021, n° 21-11634, FS-D) :

Pour déclarer valable l’exercice du droit de repentir, la cour d’appel retient qu’il n’est pas établi que, au jour de la signification de celui-ci, la bailleresse avait connaissance d’un processus irréversible de départ des lieux loués. 

En statuant ainsi, alors que l’engagement d’un tel processus par le preneur suffit à faire obstacle à l’exercice du droit de repentir par le bailleur, la cour d’appel qui a ajouté une condition à la loi a violé les dispositions de l’article L. 145-58 du code de commerce.

L’article L. 145-58 du code de commerce institue le droit de repentir, c’est-à-dire la faculté accordée au propriétaire, qui a refusé le renouvellement du bail, de se raviser et d’éviter d’avoir à payer l’indemnité d’éviction en renonçant à son refus de renouvellement et en offrant le renouvellement du bail.

Ce droit de repentir doit être exercé sous certaines conditions de forme et ne peut intervenir « qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation » (Cf. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, « Le statut des baux commerciaux », LGDJ éd. 2020, annot. sous art. L. 145-58, p. 283 et ss).

En l’espèce, le bailleur avait refusé le renouvellement en offrant le paiement d’une indemnité d’éviction par acte du 30 avril 2009, et par jugement du 8 novembre 2012 le tribunal avait ordonné une expertise afin d’apprécier l’indemnité d’éviction.

Par un courrier du 14 juin 2013, le locataire évincé déclarait au bailleur qu’à la suite de l’échec des négociations il ne pouvait plus envisager la poursuite du bail dans les locaux, et par un autre courrier du 20 août 2013 reçu le 21 août, il invitait le bailleur à un état des lieux de sortie fixé au 30 août 2013.

Le bailleur signifiait au locataire le même jour, soit le 21 août 2013, un acte de rétractation du refus de renouvellement et d’acceptation du renouvellement du bail, valant donc exercice du droit de repentir prévu par l’art L. 145-58 du code de commerce.

Devant la cour d’appel, le preneur opposait le fait qu’il avait engagé un processus irréversible de départ des lieux, de nature à faire échec à l’exercice du droit de repentir. Ce processus résultait notamment d’un procès-verbal de constat du 21 août faisant apparaître que les locaux étaient vides de mobilier et de matériel, de la réunion du comité d’entreprise du 29 juillet informant de l’obligation de fermer l’établissement en raison du non-renouvellement du bail, de l’engagement dans les jours suivants d’un processus de licenciement économique du personnel, et enfin de la mise en œuvre d’un déménagement et de la résiliation des contrats des fournisseurs.

Il s’agissait donc d’un certain nombre de dispositions prises pour délaisser les locaux, mais la cour d’appel relevait qu’il n’était pas établi que le bailleur aurait été informé de ce processus avant l’exercice de son droit de repentir.

Le droit de repentir était donc déclaré valable.

L’arrêt est logiquement sanctionné par la Cour de cassation qui précise que l’engagement du processus irréversible de départ des lieux loués par le preneur suffit à faire obstacle à l’exercice du droit de repentir par le bailleur, de telle sorte que la cour d’appel ne pouvait le subordonner à la connaissance préalable du bailleur, condition non prévue par la loi.

Par une précédente décision, la haute juridiction avait d’ailleurs jugé qu’une notification de repentir n’était pas régulière si elle était faite avec précipitation ou lorsqu’un bailleur était informé du processus irréversible de départ des lieux et de l’imminence de la remise des clefs (Cass. 3e civ., 10 mars 2010, n° 09-10793).

En revanche et s'agissant de la notion de processus irréversible de départ, il a été jugé qu’un licenciement économique qui n’était pas intervenu à la date de l’exercice du droit de repentir, l’absence de liquidation du stock comme de signature d’un nouveau bail, ne correspondait pas à un processus irréversible de départ des lieux de nature à faire obstacle à l’exercice d’un droit de repentir (Cass. 3e civ., 1er oct. 2014, n° 13-17114 : Gaz. Pal. 25 nov. 2014, p. 31, note C.-E. Brault).

 CARACTÈRE AUTONOME DE LA RÉSILIATION DE PLEIN DROIT DU BAIL PAR LE JUGE COMMISSAIRE (Cass. 3e civ., 24 novembre 2021, n° 20-20973, F-D) :

Le bailleur qui agit devant le juge commissaire pour demander la constatation de la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 641-12, 3°, sans revendiquer le bénéfice de la clause résolutoire, n’est pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du code de commerce

En l’espèce, le locataire avait fait l’objet d’un redressement judiciaire converti en liquidation judiciaire, et les bailleurs avaient saisi le juge commissaire d’une requête en constatation de la résiliation du bail sur le fondement des articles L. 641-12 et L. 622-14 du code de commerce pour défaut de paiement des loyers postérieur au prononcé de la liquidation judiciaire.

La cour d’appel avait rejeté la demande de constatation de la résiliation de plein droit du bail, en relevant que le bail contenait une clause résolutoire et qu’il appartenait au bailleur de délivrer un commandement de payer préalablement à la mise en œuvre des articles L. 641-12 et L. 622-14.

L’arrêt est sanctionné dans le prolongement de la jurisprudence posée par la chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 9 oct. 2019, n° 18-17563 et Cass. com., 15 janv. 2020, n° 17-28127 : Loyers et copr. 2019, comm. 214, note P.-H. Brault – Gaz. Pal. 10 mars 2020, p. 77, note C.-E. Brault).

En agissant devant le juge commissaire pour demander la constatation de la résiliation du bail, le bailleur ne revendique pas le bénéfice de la clause résolutoire et n’est donc pas dans l’obligation de délivrer le commandement exigé par l’article L. 145-41 du code de commerce.

La procédure de constatation de plein droit de la résiliation par le juge commissaire est une procédure distincte et autonome qui présente un intérêt manifeste pour le bailleur puisque le juge commissaire sera amené à statuer sans pouvoir accorder d’éventuels délais : le locataire faisant l’objet de la procédure collective bénéficiera alors de moins de droits que le locataire qui se trouve in bonis.

FORMALISME DU CONGÉ DONNÉ EN TACITE PROLONGATION (CA Grenoble, chambre com., 9 septembre 2021, n° 19/04570) :

Si pendant la tacite prolongation il peut être mis un terme au bail par l’effet d’un congé donné six mois à l’avance et pour le dernier jour du trimestre civil, ce dernier doit être donné par acte extrajudiciaire, qu’il émane du bailleur ou du preneur, l’article L. 145-9, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, n’opérant aucune distinction. 

En conséquence, le congé donné le 18 mars 2016 par lettre recommandée est nul et de nul effet, tandis que le second congé régulièrement donné par acte d’huissier du 30 septembre 2016 pour le 31 mars 2017 produit ses effets.

Depuis la dernière réforme de l’article L. 145-4 du code de commerce par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, il ne subsiste plus d’ambiguïté sur la forme que peut revêtir le congé du locataire, donné pour une échéance triennale.

Par un arrêt destiné à une large publicité, la Cour de cassation a en effet apporté une solution logique en précisant qu’un congé à échéance triennale devait seulement se conformer aux dispositions de l’article L. 145-4 du code de commerce qui prévoit dorénavant la faculté offerte au preneur d’une délivrance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par acte extrajudiciaire (Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, n° 18-24077 : Gaz. Pal. 10 mars 2020, p. 68, note C.-E. Brault).

Alors que l’article L. 145-4 est d’ordre public, il s’agit bien du seul texte applicable aux modalités de signification du congé d’un preneur aux échéances triennales.

En revanche, une difficulté demeure pour les congés donnés par le preneur pour l’échéance contractuelle ou en cours de tacite prolongation, puisque certains auteurs ont estimé que l’article L. 145-4 régirait l’ensemble des congés du preneur pour quelque échéance que ce soit, avec la faculté d’une délivrance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, tandis que l’article L. 145-9 ne concernerait que le congé à l’initiative du bailleur.

En l’espèce, un bail avait été régularisé pour neuf ans à compter du 1er août 1997, et s’était poursuivi au-delà de son terme contractuel par l’effet de la tacite prolongation.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 18 mars 2016, la locataire avait délivré congé pour le 30 septembre 2016, soit pour une date respectant le délai de six mois prévu par l’article L. 145-9 du code de commerce

Le bailleur contestait la validité du congé, ce qui amenait le locataire à faire délivrer prudemment un nouveau congé, cette fois-ci par acte d’huissier du 30 septembre 2016 mais à effet du 31 mars 2017.

Le tribunal puis la cour étaient donc saisis de la question de la validité du premier congé donné par lettre recommandée avec accusé de réception, et ce avec les conséquences qui en découlaient, notamment au titre de l’exigibilité du loyer.

La cour d’appel déclare le congé donné par lettre recommandée nul et de nul effet, en rappelant que les dispositions de l’article L. 145-9 du code de commerce n’opèrent aucune distinction, que le congé émane du bailleur ou du preneur.

Aucune difficulté ne se pose sur la forme que doit revêtir tout congé donné par le bailleur, puisqu’il doit respecter les dispositions de l’article L. 145-9 imposant le recours à un acte d’huissier.

Mais lorsqu’un preneur délivre un congé, hors échéance triennale, ce congé doit bien respecter les dispositions prévues par l’article L. 145-9 qui se trouve intégré dans la section relative au renouvellement du bail et qui a donc vocation à s’appliquer pour tout congé mettant fin au bail pour ou après son échéance contractuelle.

La cour d’appel relève donc à juste titre qu’aucune distinction ne doit être opérée entre un congé émanant du bailleur ou celui émanant du preneur lorsqu’il s’agit de mettre fin au bail hors une échéance triennale.

Il faut d’ailleurs relever que le cas de la tacite prolongation du bail est prévu par l’article L. 145-9 du code de commerce, et il paraît dès lors difficile de considérer que les dispositions de l’article L. 145-4, qui ne concernent que le congé donné « à l’expiration d’une période triennale » pourraient s’appliquer à un congé donné par le locataire en cours de tacite prolongation.

On soulignera néanmoins qu’une difficulté peut se poser lorsque l’échéance du bail correspondra à une période triennale (par exemple l’hypothèse d’un bail d’une durée de neuf années), puisqu’on pourrait légitimement s’interroger sur la faculté du locataire de délivrer congé par lettre recommandée avec demande d’avis de réception conformément aux dispositions de l’article L. 145-4. Cependant, la prudence et la sécurité de l’acte doivent nécessairement inciter à respecter la condition de forme posée par l’article L. 145-9, à savoir la signification par exploit d’huissier.