Décisions récentes commentées par Maître Charles-Edouard BRAULT
FIN D’UN BAIL DEROGATOIRE ET REFUS DU MAINTIEN DANS LES LIEUX PAR LE BAILLEUR (Cass. 3e civ., 8 avril 2021, n° 19-24672, F-D) :
La cour d’appel a souverainement retenu que la commune intention des parties était de conclure un bail dérogatoire afin de permettre à la société locataire d’aménager les locaux avant la signature d’un bail soumis au statut des baux commerciaux.
Elle a relevé que la locataire avait, à titre de clause déterminante, expressément renoncé au statut, et qu’à l’issue du bail le bailleur s’était prévalu du terme par mise en demeure et avait demandé la restitution des lieux.
Elle a déduit à bon droit que la société locataire ne pouvait revendiquer le bénéfice d’un bail commercial et était devenue occupante sans droit ni titre.
La présente décision de la Cour de cassation est l’occasion de rappeler les risques encourus en cas de signature d’un bail dérogatoire dérogeant expressément au statut des baux commerciaux en application des dispositions de l'article L. 145-5 du Code de commerce (Cf. J.-D. Barbier et C.E. Brault, « Le statut des baux commerciaux », LGDJ éd. 2020, p. 49 et s.).
Une société locataire régularisait un bail dérogatoire de quatre mois, la cour d’appel relevant que ce bail était « destiné à permettre au preneur de réaliser les travaux d’aménagement intérieur du local en vue de l'exploitation future du bar à bières ». En faisant référence à un courrier électronique de la locataire annexé au bail dérogatoire et paraphé par les parties, la cour rappelait qu’il était donc « clairement dans l’intention des parties de poursuivre la relation au-delà du bail dérogatoire, sous le statut des baux commerciaux, dans des conditions pour l’essentiel déjà convenues ».
Il n’était d’ailleurs pas contesté que la locataire avait réalisé les travaux d’aménagement convenus et acquis une licence IV d'exploitation de débit de boissons.
Cependant, et dès après l’échéance contractuelle de ce bail dérogatoire, le bailleur avait fait connaître à la locataire son intention de ne pas poursuivre la relation contractuelle, en se prévalant du terme échu du bail dérogatoire et en sollicitant la restitution des lieux loués.
On sait qu’il appartient au bailleur de prouver qu’il n’entend pas poursuivre sa relation contractuelle à l’échéance du bail dérogatoire (Cass. 3e civ., 4 mai 2010, n° 09-11840 : Gaz. Pal. 17 juil. 2010, p. 34, note C.-E. Brault), tandis que la seule manifestation de volonté du bailleur de ne pas poursuivre la relation contractuelle est suffisante (Cass. 3e civ., 5 juin 2013, n° 12-19634 : Gaz. Pal. 3 août 2013, p. 25, note C.-E. Brault).
Dans cette espèce, la cour d’appel a procédé à l’analyse de la convention litigieuse, et relevé que la commune intention des parties avait bien été de conclure un bail dérogatoire, même s’il s’agissait pour la société locataire d’aménager les locaux avant la signature d’un bail soumis au statut des baux commerciaux, tandis que la convention contenait en tant que de besoin une renonciation expresse au bénéfice du statut des baux commerciaux à son échéance.
Il n’est pas certain que cette renonciation puisse produire de réels effets, mais nonobstant la commune intention des parties, la Haute Juridiction s’attache simplement à la volonté du bailleur de ne pas consentir au bénéfice du statut des baux commerciaux dans le délai d’un mois suivant l’échéance dorénavant prévu par l'article L. 145-5 du Code de commerce.
Le choix de la convention et de son régime juridique doit être bien pesé par le candidat locataire qui n’aurait certainement pas dû régulariser une convention dérogatoire qui permet au bailleur, nonobstant les investissements du locataire, de se prévaloir du terme de la convention et de demander la restitution des locaux avant que ne se forme un bail soumis au statut.
EFFETS D’UNE DEMANDE DE RENOUVELLEMENT AUX CLAUSES ET CONDITIONS ANTERIEURES (Cass. 3e civ., 15 avril 2021, n° 19-24231, FS-P) :
Le preneur avait formulé une demande de renouvellement du bail aux clauses et conditions du précédent bail, et le bailleur avait exprimé son accord pour un renouvellement aux mêmes clauses et conditions antérieures.
Les parties ayant toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » sans mention d’aucune réserve, elles avaient conclu un accord exprès sur les clauses et conditions du bail précédent, de telle sorte que la demande en fixation du loyer du bail renouvelé doit être rejetée.
Un locataire avait délivré sa demande de renouvellement en précisant dans l’acte « aux mêmes clauses et conditions que le précédent bail » et en y annexant ledit bail.
Deux jours plus tard, le bailleur s’empressait d’accepter le renouvellement sans réserve et aux mêmes clauses et conditions antérieures.
Des échanges intervenaient entre les parties, à l’issue desquels le preneur engageait finalement une procédure devant le juge des loyers commerciaux afin d’obtenir la fixation judiciaire du loyer de renouvellement.
La demande de renouvellement du bail émanant du locataire obéit aux dispositions de l'article L. 145-10 du Code de commerce qui impose le respect de délais et de modalités concernant la notification, laquelle doit, à peine de nullité, rappeler le délai imparti au bailleur pour sa réponse, et préciser les indications notamment au titre de la prescription biennale. Le texte légal n’impose nullement que l’auteur de la demande de renouvellement indique le montant du loyer de renouvellement sollicité, ce qui s’explique notamment par le fait qu’un locataire peut toujours obtenir la fixation du loyer de renouvellement à une valeur locative inférieure au dernier loyer contractuel, et que cette valeur locative peut ne pas être encore quantifiée à la date de la demande de renouvellement.
C’est d'ailleurs au bailleur qu’il incombe de prendre position sur le montant du loyer de renouvellement, soit dans le cadre de son acceptation de la demande dans le délai prévu par la loi, soit ultérieurement dans les termes des dispositions des articles L. 145-11 et R. 145-1 du Code de commerce.
Dans cette espèce et pour la cour d’appel, le locataire avait proposé le renouvellement sans réserve sur le prix, et ce renouvellement avait été pleinement et entièrement accepté par le bailleur, de telle sorte qu’il en résultait un accord explicite des parties sur le prix du loyer avant la contestation du locataire.
Il s’agissait donc de déterminer si un accord explicite des parties était bien intervenu sur le montant du loyer de renouvellement, puisqu’un tel accord rendait le renouvellement définitif, sans possibilité d’exercer le droit d'option prévu par les dispositions de l'article L. 145-57 du Code de commerce.
Dans son pourvoi, le preneur relevait que l’ajoute de la mention « aux clauses et conditions du bail venu à expiration » dans la demande de renouvellement pouvait certes traduire une volonté de renouveler le bail mais ne suffisait pas à caractériser un engagement précis sur le montant du loyer du bail à renouveler ; il faisait ensuite grief à la cour d’appel d’avoir retenu qu’à défaut pour les parties d’exprimer leur volonté de contracter pour un prix différent, le bail était renouvelé au prix plafonné.
Il est vrai que la Haute Juridiction avait précédemment jugé que la mention « aux mêmes clauses et conditions du bail antérieur » portée sur une demande de renouvellement pouvait traduire la volonté du preneur de renouveler le bail mais que cette formule d’usage qui ne faisait aucune référence expresse au loyer, élément essentiel du bail, ne pouvait suffire à caractériser un engagement précis, complet et ferme, du locataire sur le montant du loyer du bail à renouveler (Cass. 3e civ., 24 juin 2009, n° 08-13970 : Loyers et copr. 2009, comm. 211, note P.-H. Brault).
Cependant, la solution retenue par la cour d’appel est ici approuvée par la Cour de cassation en ce qu’elle a souverainement retenu que les parties avaient toutes deux exprimé leur volonté de voir renouveler le contrat « aux mêmes clauses et conditions antérieures » et qu’il en résultait ainsi un accord exprès sur les clauses et conditions du bail précédent de telle sorte que la demande en fixation du loyer du bail renouvelé devait être rejetée.
La difficulté vient nécessairement de la mention insérée dans la demande de renouvellement du locataire alors que de nombreux modèles permettent d’éviter ce type d’erreur (V. notamment J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, LGDJ éd. 2020, p. 367 et s). On peut d'ailleurs s’interroger sur la portée du maintien des clauses et conditions antérieures alors que le renouvellement se trouvait soumis de plein droit aux dispositions d’ordre public de la loi dite Pinel du 18 juin 2014 qui implique une adaptation parfois inéluctable de certaines clauses et conditions du bail échu qui peuvent s’avérer réputées non écrites au regard des nouvelles dispositions de l'article L. 145-15 du Code de commerce.
La véritable question n’était probablement pas de savoir si le preneur avait renoncé à son droit de voir fixer le loyer de renouvellement compte tenu de la règle « le silence ne vaut pas acceptation » consacrée par l'article 1120 du Code civil, mais de déterminer si un accord certain des parties était intervenu sur le montant du loyer de renouvellement, ce qui suppose une manifestation de volonté sans équivoque, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un élément essentiel du bail.
Des critiques concernant la solution adoptée s’avèrent cependant justifiées puisque la cour d’appel précisait singulièrement qu’à défaut pour les parties d’avoir exprimé leur volonté de contracter pour un prix différent, le bail était renouvelé au prix plafonné en faisant référence aux dispositions de l'article L. 145-34 du Code de commerce. Or, l’accord présumé des parties sur les mêmes clauses et conditions antérieures ne pouvait aboutir à la fixation d’un loyer de renouvellement calculé selon la règle du plafonnement, mais au maintien du prix en vigueur à la date d’effet de la demande de renouvellement.
Le revirement de la haute juridiction appelle donc certaines réserves, probablement justifiées par les circonstances particulières de l’espèce.
LE JUGE DOIT REPONDRE AUX DEMANDES DE MAJORATION DE LA VALEUR LOCATIVE (Cass. 3e civ., 8 avril 2021, n° 19-17912, F-D) :
En fixant le loyer du bail renouvelé sans répondre aux moyens des bailleurs qui soutenaient que le droit de préférence accordé au locataire en cas de vente des locaux loués, et le droit pour ce dernier de réaliser tous travaux sans autorisation des bailleurs, constituaient un avantage exorbitant justifiant une majoration de la valeur locative des lieux, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du Code de procédure civile.
Le juge fixe la valeur locative selon le mode de calcul qui lui paraît le meilleur (Cass. 3e civ., 25 sept. 2002, n° 01-10265 - Cass. 3e civ., 18 juin 2013, n° 12-22226), mais il doit rechercher, au besoin d’office, si le loyer correspond à cette valeur (Cass. 3e civ., 17 déc. 2010, n° 19-19433 : Gaz. Pal. 10 nov. 2020, p. 78, note C.-E. Brault).
L'article R. 145-8 du Code de commerce prévoit de prendre en considération, « […] du point de vue des obligations respectives des parties, les restrictions à la jouissance des lieux et les obligations incombant normalement au bailleur dont celui-ci se serait déchargé sur le locataire sans contrepartie (…) ». Cet énoncé laisse supposer que seuls les facteurs négatifs seraient susceptibles d’être pris en compte et d’entraîner une minoration de la valeur locative, mais la pratique expertale et les fixations judiciaires du loyer ont depuis longtemps imposé la prise en compte des facteurs de majoration de la valeur locative dès lors que les clauses du bail vont au-delà des usages et valorisent le fonds de commerce.
Dans la présente espèce, il s’agissait d’apprécier la valeur locative de renouvellement d’un supermarché, et l’expert avait tenu compte d’un certain nombre de facteurs de diminution de la valeur locative en relevant notamment le remboursement des taxes foncières et des honoraires du syndic de copropriété, ce qui avait permis à la cour d’appel de retenir un fort abattement de 17 %.
S’agissant des critères de majoration, l’expert puis la cour d’appel avaient tenu compte de l'autorisation de sous-location de la station de lavage, justifiant une majoration de la valeur locative à hauteur de 2 %.
Mais les bailleurs soulevaient également deux autres motifs de majoration de la valeur locative tirés du droit de préférence conventionnel accordé à la société locataire en cas de vente des locaux loués et de l'autorisation donnée à cette dernière de réaliser tous travaux sans autorisation des bailleurs.
La cour d’appel ayant fixé le loyer sans répondre à ces demandes de majoration, la décision est sanctionnée.
Compte tenu du droit de préemption dorénavant prévu par l'article L. 145-46-1 du Code de commerce et applicable pour les cessions à compter du 18 décembre 2014, la majoration de la valeur locative ne serait dorénavant justifiée qu’en cas d’avantage particulier accordé au locataire, soit l'hypothèse où le droit de préférence conventionnel irait au-delà du droit de préemption légal.
En l’espèce, il appartiendra donc à la cour de renvoi d’apprécier l’éventuelle majoration découlant du droit de préférence.
En ce qui concerne l'autorisation donnée au locataire de réaliser tous travaux sans avoir à obtenir l'autorisation des bailleurs, il s’agit manifestement d’un droit qui va au-delà des usages.
Il appartient là encore au juge du fond d’apprécier l’avantage qui en découle et le facteur de majoration de la valeur locative
LOI PINEL ET DEPLAFONNEMENT DU LOYER (CA Paris, 5-3, 31 mars 2021, n° 17/14904 et CA Colmar, 1re ch. civ. sect. A, 25 janvier 2021, n° 19/02259) :
1) Le simple fait qu’une disposition soit d’ordre public ne lui confère pas un caractère notable. À supposer que la clause figurant au bail expiré transférait à la société locataire la charge des travaux relevant de l'article 606 du Code civil, celle-ci doit être suivie lorsqu’elle observe que leur coût doit s’apprécier au regard des loyers perçus pendant le bail et non par rapport au loyer perçu pendant une année, puisqu’il s’agit d’apprécier l’économie globale du bail.
Selon l’expert, l’ensemble des dépenses relevant de l'article 606 du code civil représenterait 5,9 % du montant du loyer initial perçu pendant neuf ans, et la modification des obligations des parties apportée par l’entrée en application de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, quant au transfert des obligations du bailleur sur le preneur, n’ayant au cas présent aucun caractère notable, le déplafonnement du bail ne peut être prononcé.
2) Les modifications apportées par la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 au titre des obligations respectives des parties n’étaient pas applicables au bail en cours mais le seront au bail renouvelé au 1er mars 2016.
Or, pour pouvoir être prise en compte, la modification notable doit s’être produite entre la prise d’effet du bail renouvelé et la date du congé ou de la demande de renouvellement. Si la modification intervient lors de la conclusion du bail à renouveler, elle ne peut pas constituer un motif de déplafonnement.
La loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux TPE, dite loi Pinel, a apporté un certain nombre de modifications aux textes régissant le statut des baux commerciaux, modifications susceptibles d’avoir un impact sur les clauses et conditions des renouvellements dès lors que ces renouvellements interviennent postérieurement au 1er septembre 2014.
Les deux décisions commentées ici permettent d’affiner les raisonnements adoptés par les juges du fond en cas de demande de déplafonnement découlant des modifications des obligations des parties par la loi dite Pinel.
I.- Approche par l’analyse de la modification des obligations et de son caractère notable
La cour d’appel de Paris était saisie d’une demande de déplafonnement tirée de l’impossibilité de faire dorénavant peser sur le locataire les travaux relevant de l'article 606 du Code civil. Par un premier arrêt, la cour avait désigné un expert avec mission d’apprécier l’état de l’immeuble et l’importance des travaux relevant de l'article 606 devant être supportés par les bailleurs ainsi que celle des travaux ayant pour objet de remédier à la vétusté ou de mettre en conformité avec la réglementation le bien loué ou l’immeuble dès lors qu’ils relèveraient des grosses réparations.
Après dépôt du rapport d'expertise, la cour procède à l’examen du caractère notable de la modification découlant de la loi et de l’impossibilité de faire désormais supporter à la société locataire les travaux relevant de l'article 606 du Code civil.
À titre préalable, la cour relève que le simple fait que les dispositions de la loi du 18 juin 2014 soit d’ordre public ne leur confère pas le caractère notable requis, en rappelant que dans l'hypothèse où la modification n’affecterait que de manière partielle les relations des parties, cette modification ne pourrait revêtir le caractère notable et entraîner le déplafonnement du loyer.
Pour apprécier ce caractère notable, la cour estime que le coût des travaux pouvant relever de l'article 606 du code civil et envisageables au cours du bail renouvelé, devait être apprécié par rapport à l’ensemble des loyers perçus durant le bail, puisqu’il s’agit d’apprécier ce caractère notable au regard de l’économie globale du bail.
Or, l’expert judiciaire avait relevé que l’ensemble des dépenses relevant de l'article 606 du Code civil pouvait correspondre à 5,9 % du montant du loyer initial perçu sur neuf années.
Les juges du fond estimèrent dès lors que la modification des obligations des parties découlant de la loi du 18 juin 2014 ne présentait pas le caractère notable permettant d’entraîner le déplafonnement du loyer.
Cette approche est conforme à celle qui avait été adoptée par la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 3 avril 2019 (CA Paris, 3 avr. 2019, n° 17/21462) et doit être approuvée. Elle implique cependant le recours à une expertise judiciaire, autre que l’expertise en valeur locative, afin d’apprécier le coût des gros travaux relevant de l'article 606 du code civil susceptibles d’être engagés à l'occasion du bail à renouveler.
I.- Rejet de tout déplafonnement en l’absence de modification intervenue au cours du bail à renouveler
De son côté, la cour d’appel de Colmar adopte une position radicalement différente. S'agissant de la modification des obligations respectives des parties pouvant découler de la loi dite Pinel du 18 juin 2014, la cour relève que les nouvelles dispositions sont applicables aux baux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014 et n’étaient donc pas appliquées ni applicables au bail alors en cours, s'agissant d’un renouvellement au 1er mars 2016.
La cour relève que le motif de déplafonnement doit être intervenu au cours du bail à renouveler (V. sur cette question : J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, LGDJ éd.
2020, note sous C. com., art. L. 145-34, p. 184 et s. - Cass. 3e civ., 14 oct. 1992, n° 91-10217) et rappelle que les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur durant la période de référence du bail échu, soit du 1er mars 2007 au 29 février 2016, mais n’ont pas eu pour effet de modifier les obligations respectives des parties en cours de bail et ne peuvent donc justifier un motif de déplafonnement du loyer.
Cette approche paraît néanmoins critiquable car les modifications découlant de la loi prennent effet à la date du renouvellement et viennent donc modifier les obligations respectives des parties entre la période du bail échu et celle du renouvellement.
Il faut donc comparer les obligations entre ces deux périodes, tandis que l'article R. 145-8 du code de commerce prévoit que la modification peut être invoquée par celui qui est tenu d’assumer les nouvelles charges « depuis la dernière fixation du prix ». La règle générale selon laquelle la modification doit être intervenue au cours du bail expiré pour justifier un déplafonnement n’est donc pas applicable puisqu’il suffit que la modification affecte la répartition des charges ou des obligations des parties entre le bail expiré et le bail à renouveler.
C’EST AU BAILLEUR D’ETABLIR LA PERSISTANCE DE L’INFRACTION APRES LE DELAI D’UN MOIS (Cass. 3e civ., 20 mai 2021, n° 20-12533, F-D) :
Pour constater l'acquisition de la clause résolutoire, l’arrêt retient que le bail commercial stipule que les locaux devront être tenus constamment en activité, que le preneur n’apporte pas la preuve d’une exploitation continue pour la période antérieure à la délivrance du commandement, et que compte tenu de l’injonction faite au locataire, aux termes du commandement, de justifier dans le mois d’une exploitation continue depuis le début du bail, la reprise de cette exploitation après la délivrance du commandement est sans incidence.
En statuant ainsi alors qu’il incombait au bailleur d’établir l’existence et la persistance de l’infraction aux clauses du bail, la cour d’appel a inversé la charge de la preuve.
Un bailleur faisait constater par quatre constats d’huissier la fermeture et le défaut d'exploitation des lieux loués, puis délivrait au locataire, quelques semaines plus tard, un commandement, visant la clause résolutoire, d’avoir à exploiter le fonds de commerce de façon effective et continue.
L’exploitant prétendait qu’il s’était absenté pour prendre des congés puis en raison d’un anniversaire, et produisait aux débats un certain nombre de justificatifs provenant notamment de tickets de caisses pour des achats alimentaires destinés à son commerce, et relatifs à des factures d’abonnement d’un terminal de carte bancaire.
Pour la cour d’appel, les pièces produites permettaient d’établir que l’exploitant pouvait justifier d’une exploitation à partir de janvier 2016 alors que le commandement avait été signifié le 9 mars 2016, mais qu’il n’apportait pas la preuve d’une exploitation antérieure.
La cour d’appel constatait dès lors l'acquisition de la clause résolutoire au motif que l’exploitant ne pouvait rapporter la preuve de son obligation de maintien des locaux en activité.
Or, il appartient au bailleur qui entend se prévaloir de la clause résolutoire d’établir la persistance de l’infraction au-delà de l’expiration du délai d’un mois (Cass. 3e civ., 24 oct. 2019, n° 18-20317 : Gaz. Pal. 10 mars 2020, p. 76, note C.-E. Brault).
C’était donc au bailleur de prouver le maintien du défaut d'exploitation du fonds de commerce à l’expiration du délai d’un mois suivant la date du commandement visant la clause résolutoire.
L’ACQUISITION DE LA CLAUSE RESOLUTOIRE POUR DEFAUT DE PAIEMENT DES FRAIS DE POURSUITE N’EST PAS UNE ATTEINTE A LA PROPRIETE COMMERCIALE (Cass. 3e civ., 11 mars 2021, n° 20-13639, FS-P+L) :
Le locataire n’ayant pas payé les frais de poursuite dans le délai visé par les commandements de payer alors que les clauses résolutoires avaient été mises en œuvre de bonne foi par les bailleurs, la cour d’appel statuant en référé a pu constater l'acquisition de la clause résolutoire.
La « propriété commerciale » du preneur d’un bail commercial protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales s’entend du droit au renouvellement du bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du Code de commerce.
Une situation conflictuelle opposait l’exploitant d’une résidence de tourisme aux nombreux propriétaires bailleurs, qui avaient d'ores et déjà signifié des congés avec refus de renouvellement sans paiement d'indemnité d'éviction.
Alors que ces actes n’avaient pas été suivis d’une procédure et que le litige restait donc potentiel dans le délai de prescription de deux années, le locataire n’avait pas veillé à procéder régulièrement au paiement du loyer, de telle sorte que les bailleurs avaient fait délivrer des commandements visant la clause résolutoire.
La société locataire procédait alors au règlement des loyers dans le délai d’un mois, mais ne payait pas les frais de poursuite. Les bailleurs saisirent dès lors le juge des référés, et le tribunal puis la cour d’appel constatèrent l'acquisition de la clause résolutoire de l’ensemble des baux.
L’arrêt est censuré partiellement au motif que le juge des référés ne peut prononcer une condamnation définitive au paiement d’une indemnité d'occupation majorée de 50 % mais seulement une provision.
I. - Clause résolutoire pour défaut de paiement des frais et exigence de bonne foi des bailleurs
Une clause résolutoire ne peut être mise en œuvre que pour sanctionner une infraction contractuelle expressément prévue par le bail (V. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, LGDJ éd. 2020, p. 230 - Cass. 3e civ., 15 sept. 2010, n° 09-10339 ; Gaz. Pal. Rec. 2010, jurisp. p. 3562, note C.-E. Brault).
En l’espèce, les clauses résolutoires étaient libellées de la manière suivante : « À défaut de paiement à son échéance exacte d’un seul terme de loyer ou de tout rappel de loyer consécutif à une augmentation de celui-là, comme à défaut de remboursement de frais, taxes locatives, impositions, charges ou frais de poursuite et prestation qui en constituent l’accessoire, et notamment du commandement destiné à faire jouer la présente clause […] ».
Les clauses visaient donc expressément le coût des commandements, et la Haute Juridiction avait déjà pu rappeler qu’un défaut de paiement du coût des commandements ne pouvait entraîner le jeu de la clause résolutoire à défaut d’une stipulation expresse de celle-ci visant les frais de poursuite (Cass. 3e civ., 24 mai 2000, n° 98-18049 : Gaz. Pal. 15 mars 2001, p. 16, note P.-H. Brault).
Pour tenter de faire échec à l'acquisition de la clause, l’exploitant de la résidence soulevait la mauvaise foi des bailleurs au motif qu’ils invoquaient l'acquisition de la clause résolutoire en raison de l’inexécution de frais dérisoires intégralement payés au jour de l’audience, et ce dans l’unique dessein de mettre fin au bail sans versement d’une indemnité d'éviction.
Si l’exigence de bonne foi est essentielle pour la mise en œuvre de la clause résolutoire, le simple montant des sommes impayées par rapport à l’enjeu ne peut naturellement suffire à caractériser l’absence de bonne foi dans la délivrance des commandements visant la sanction encourue.
La sanction est sévère mais il appartenait à l’exploitant de la résidence de solliciter la suspension des effets de la clause résolutoire jusqu’à la date de paiement intégral de l’ensemble des frais de poursuite.
II. - Question de l’atteinte au droit à la propriété commerciale
Pour s’opposer aux conséquences de l'acquisition de la clause résolutoire, le locataire invoquait ensuite une atteinte disproportionnée à son droit à la propriété commerciale, protégé par l'article 1er du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH).
L’atteinte au protocole additionnel à la CESDH a déjà été invoquée en matière de baux commerciaux, puisque le Conseil constitutionnel a récemment déclaré conforme à la Constitution et au droit de propriété les dispositions de l'article L. 145-14 du Code de commerce relative à la détermination de l'indemnité d'éviction (Cass. 3e civ., 10 déc. 2020, n° 20-10059 : Gaz. Pal. 23 févr. 2021, p. 61, note C.-E. Brault - Cons. const., 5 mars 2021, n° 2020-887 QPC, JO, 6 mars 2021).
En matière de clause résolutoire, la Cour de cassation a déjà jugé que les dispositions de l'article L. 145-41 du Code de commerce et le mécanisme permettant la suspension des effets de la clause résolutoire du bail commercial ne portaient pas atteinte à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et a estimé qu’il n’y avait donc pas lieu à renvoi au Conseil constitutionnel de la QPC y relative en l’absence de caractère sérieux (Cass. 3e civ., 18 juin 2010, n° 09-71209).
En l’espèce, le locataire estimait que la perte de sa propriété commerciale s’avérait disproportionnée au regard des sommes non réglées immédiatement et correspondant au seul coût des commandements, ce qui permet à la Cour de cassation de définir le périmètre de la « propriété commerciale » qui doit donc s’entendre du droit au renouvellement d’un bail commercial consacré par les articles L. 145-8 à L. 145-30 du Code de commerce et non du mécanisme conventionnel de la résiliation du bail dont la mise en œuvre est encadrée par les dispositions d’ordre public de l'article L. 145-41 du Code de commerce.
La propriété commerciale protégée porte sur le droit au renouvellement et non sur le caractère proportionné ou disproportionné de la sanction contractuelle prévue par le bail.
III.- Fixation provisionnelle de l'indemnité d'occupation
L’arrêt d’appel est néanmoins partiellement cassé car les juges avaient accordé aux bailleurs une indemnité d'occupation en la fixant au montant du loyer majoré de 50 %.
Or, le juge des référés statuant en première instance comme en appel ne peut fixer une indemnité d'occupation à titre définitif mais seulement à titre provisionnel.
La cassation intervient donc pour des raisons procédurales, car la cour d’appel avait condamné le locataire au paiement d’une indemnité d'occupation majorée sans avoir précisé qu’il s’agissait d’une condamnation à titre provisionnel.
Mais cette cassation est privée de réelles conséquences, car la Haute Juridiction use de son pouvoir de cassation en statuant sans renvoi et en précisant que les condamnations prononcées par la cour d’appel interviennent donc à titre provisionnel.