Décisions récentes commentées par Maître Charles-Edouard BRAULT

COMMENTAIRES A LA GAZETTE DU PALAIS, NUMERO SPECIAL DROIT DES BAUX COMMERCIAUX, 23 FEVRIER 2021 :
BAUX DÉROGATOIRES SUCCESSIFS ET APPLICATION DU STATUT (Cass. 3e civ., 22 octobre 2020, n° 19-20443, FS-P+B+I) :

Selon l'article L. 145-5 du code de commerce, les parties ne peuvent pas conclure un nouveau bail dérogatoire pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux à l’expiration d’une durée totale de trois ans que ne peuvent excéder les baux dérogatoires successifs.

Ce délai court dès la prise d’effet du premier bail dérogatoire, même si le preneur a renoncé, à l’issue de chaque bail dérogatoire, à l'application du statut des baux commerciaux.. 

Le régime des baux dérogatoires prévu à l'article L. 145-5 du code de commerce a subi plusieurs réformes (Cf. J.-D. Barbier et C.E. Brault, « Le statut des baux commerciaux », LGDJ éd. 2020, p. 49 et s.). Avant la loi dite LME n° 2008-776 du 4 août 2008, les parties ne pouvaient pas en principe renouveler ni conclure un nouveau bail dérogatoire portant sur le même local. Cependant, un tel renouvellement se trouvait possible en pratique dans la mesure où la Cour de cassation avait admis que les parties pouvaient renoncer au bénéfice du statut des baux commerciaux et conclure un nouveau bail dérogatoire dès lors que la renonciation était non équivoque (Cass. 3e civ., 25 févr. 2004, n° 02-15837).

La réforme du 4 août 2008 a autorisé le renouvellement de baux dérogatoires dans une limite de deux années, ce qui ne semblait pas proscrire la pratique de la renonciation au bénéfice du statut, permettant la succession de baux dérogatoires au-delà de cette durée de deux ans.

La loi 2014-626 du 18 juin 2014 dite loi Pinel a porté la durée du ou des baux dérogatoires successifs à trois années, en précisant à la fin du 1er alinéa de l'article : « À l’expiration de cette durée, les parties ne peuvent plus conclure un nouveau bail dérogeant aux dispositions du présent chapitre pour exploiter le même fonds dans les mêmes locaux. »

Cette modification, cumulée avec le 3e alinéa de l'article L. 145-5 qui précise qu’en cas de renouvellement exprès du bail ou de conclusion entre les mêmes parties d’un nouveau bail pour le même local que ce nouveau bail est alors soumis au statut des baux commerciaux, semblait dès lors proscrire la conclusion de conventions dérogatoires successives au-delà de cette durée de trois ans, notamment par le biais de clauses de renonciation au bénéfice du statut des baux commerciaux.

En l’espèce, un preneur qui occupait déjà les lieux loués en vertu d’un premier bail dérogatoire régularisait le 1er juin 2013 un nouveau bail dérogatoire de 24 mois avec renonciation au bénéfice du statut. Le 1er juin 2015 un nouveau bail dérogatoire de 12 mois était régularisé, et le bailleur informait le preneur, avant l’expiration de cette dernière convention, de sa volonté de ne pas consentir un nouveau bail dérogatoire

Mais le preneur revendiquait le bénéfice du statut, et le bailleur saisissait dès lors le tribunal afin d’obtenir son expulsion.

Pour la cour d’appel, l’occupant n’avait pas acquis la propriété commerciale puisque les parties avaient conclu un bail dérogatoire le 1er juin 2013 d’une durée de 24 mois, puis un nouveau bail dérogatoire le 1er juin 2015 d’une durée de 12 mois, ce dont elle déduisait que la durée globale des baux successifs n’avait pas excédé la durée maximale de trois ans.

Pour le juge du fond, la loi du 18 juin 2014 n’avait pas d’effet rétroactif, de telle sorte qu’il ne fallait pas prendre en compte l’occupation réelle des lieux loués avant le 1er juin 2013.

Mais la Cour de cassation observe que le bail du 1er juin 2015 avait été signé postérieurement à la réforme du 18 juin 2014 et devait respecter les dispositions modifiées de l'article L. 145-5. Ce bail devait donc répondre aux exigences de ce texte et ne pas avoir une durée cumulée, avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment, de plus de 36 mois à compter de la date de prise d’effet du premier bail dérogatoire.

Cette décision sanctionne la pratique du maintien dans les lieux à l’issue d’un ou plusieurs baux dérogatoires avec renonciation à la propriété commerciale.

Il faut donc prendre en compte l’ensemble de la durée d’occupation en cumulant si besoin était la durée des baux consentis avant la loi du 18 juin 2014. Si la durée des baux dérogatoires successifs est supérieure à trois années il s’opère alors un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, comme dans l'hypothèse où un preneur demeure dans les lieux à l’issue d’un ou plusieurs baux dérogatoires, même si ce terme ne correspond pas à la période maximale de trois années prévue par l'article L. 145-5 du code de commerce (Cass. 3e civ., 26 mars 2020, n° 18-16113 : Gaz. Pal. 30 juin 2020, p. 64, note C.-E. Brault)

Mais le preneur revendiquait le bénéfice du statut, et le bailleur saisissait dès lors le tribunal afin d’obtenir son expulsion.

Pour la cour d’appel, l’occupant n’avait pas acquis la propriété commerciale puisque les parties avaient conclu un bail dérogatoire le 1er juin 2013 d’une durée de 24 mois, puis un nouveau bail dérogatoire le 1er juin 2015 d’une durée de 12 mois, ce dont elle déduisait que la durée globale des baux successifs n’avait pas excédé la durée maximale de trois ans.

Pour le juge du fond, la loi du 18 juin 2014 n’avait pas d’effet rétroactif, de telle sorte qu’il ne fallait pas prendre en compte l’occupation réelle des lieux loués avant le 1er juin 2013.

Mais la Cour de cassation observe que le bail du 1er juin 2015 avait été signé postérieurement à la réforme du 18 juin 2014 et devait respecter les dispositions modifiées de l'article L. 145-5. Ce bail devait donc répondre aux exigences de ce texte et ne pas avoir une durée cumulée, avec celle des baux dérogatoires conclus précédemment, de plus de 36 mois à compter de la date de prise d’effet du premier bail dérogatoire.

Cette décision sanctionne la pratique du maintien dans les lieux à l’issue d’un ou plusieurs baux dérogatoires avec renonciation à la propriété commerciale.

Il faut donc prendre en compte l’ensemble de la durée d’occupation en cumulant si besoin était la durée des baux consentis avant la loi du 18 juin 2014. Si la durée des baux dérogatoires successifs est supérieure à trois années il s’opère alors un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, comme dans l'hypothèse où un preneur demeure dans les lieux à l’issue d’un ou plusieurs baux dérogatoires, même si ce terme ne correspond pas à la période maximale de trois années prévue par l'article L. 145-5 du code de commerce (Cass. 3e civ., 26 mars 2020, n° 18-16113 : Gaz. Pal. 30 juin 2020, p. 64, note C.-E. Brault)

LA SANCTION DU RÉPUTÉ NON ÉCRIT EST APPLICABLE AUX BAUX EN COURS ET SA MISE EN ŒUVRE N’EST PAS SOUMISE À PRESCRIPTION (Cass. 3e civ., 19 novembre 2020, n° 19-20405, FS-P+B+I) : 

La loi du 18 juin 2014 qui a modifié l'article L. 145-15 du code de commerce en substituant à la nullité des clauses illicites leur caractère non écrit, est applicable aux baux en cours, et l’action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n’est pas soumise à prescription.

L’action tendant à voir réputée non écrite la clause du bail relative à la révision du loyer, formée après l’entrée en vigueur de la loi précitée, est donc recevable.

Par cet arrêt de principe, la Cour de cassation précise le régime des clauses illicites au regard des dispositions de l'article L. 145-15 du code de commerce, modifiées par la loi du 18 juin 2014 avec le remplacement de la sanction de la nullité par celle du réputé non écrit (Cf. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, éd. 2020, LGDJ, annot. sous art. L. 145-15, p. 104 et s.).

Le bail comportait une clause contraire aux dispositions de l'article L. 145-38 du code de commerce rédigée comme suit : « Le loyer sera révisé, légalement en plus ou en moins, à l’initiative du bailleur tous les ans à la date anniversaire de la date de prise d’effet du bail, telle que définie ci-dessus et pour la première fois le 1er avril 1999, par application des dispositions 

des articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 ou de tout texte qui fixerait d’autres modalités pour les révisions légales. »

Cette malheureuse rédaction opérait une confusion entre la révision triennale légale régie par les anciens articles 26 et 27 du décret du 30 septembre 1953 (soit les articles L. 145-37 et L. 145-38 du code de commerce) et la clause d’indexation qui présente un caractère automatique.

Par cet arrêt, la Cour de cassation se prononce sur la sanction applicable à une clause illicite d’un bail conclu antérieurement à la loi du 18 juin 2014 (I) et précise ensuite que l’action visant à faire déclarer non écrite la clause d’un bail sur le fondement de l'article L. 145-15 n’est pas soumise à prescription (II).

I.La sanction du réputé non-écrit applicable aux clauses d’un bail conclu avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 :

Il ne fait nul doute que la clause contractuelle précisant que la révision devait intervenir, non pas tous les trois ans mais chaque année, s’avérait contraire aux dispositions légales et était donc illicite.

En l’espèce, la procédure de contestation de cette clause litigieuse avait été introduite en 2016 tandis que le bail avait été signé en 1998 et renouvelé en 2007. Sous le régime antérieur à la réforme découlant de la loi du 18 juin 2014, les stipulations litigieuses encouraient la nullité, de telle sorte que la demande du locataire aurait été déclarée irrecevable car prescrite.

Pour le bailleur, les dispositions relevant de la loi nouvelle ne pouvaient s’appliquer au bail conclu antérieurement, tandis que le locataire soutenait que ces nouvelles dispositions devaient s’appliquer aux contrats en cours à la date de l’entrée en vigueur de la loi.

Selon le principe fondamental, la loi nouvelle ne s’applique pas aux procédures en cours. C’est d'ailleurs ce qui avait été retenu, pour une demande de nullité d’une clause d’enseigne, pour une procédure qui était en cours avant la réforme du 18 juin 2014 (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 16-17939), ainsi que pour une demande de nullité d’une clause résolutoire (CA Paris, 10 févr. 2016, n° 13/23690 : Gaz. Pal. 5 juil. 2016, p. 69, note C.-E Brault) ou encore pour une demande de requalification d’un contrat en bail commercial (Cass. 3e civ., 22 juin 2017, n° 16-15010).

Pour la Cour de cassation, la loi du 18 juin 2014 qui a substitué à la nullité des clauses illicites le réputé non écrit est applicable aux baux en cours.

Cette importante décision tranche donc la question liée à l'application dans le temps de la sanction applicable aux dispositions qui s’avèrent contraires à l’ordre public statutaire au regard des dispositions des articles L. 145-15 et L. 145-16 du code de commerce

I.L’action tendant à voir réputée non écrite la clause du bail n’est pas soumise à prescription :

Si la clause est réputée non écrite, l’action visant à obtenir son éradication n’est alors pas soumise à prescription. Alors qu’une action en nullité doit être engagée dans le délai de prescription légale, une clause non écrite peut être jugée telle à tout moment sans qu’aucune prescription ne puisse être invoquée (V. J.-D. Barbier et C.-E. Brault : Le statut des baux commerciaux, éd. 2020, LGDJ, annot. sous art. L. 145-15, p. 105 ; Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23169).

Dès lors, plusieurs régimes de prescription s’appliquent en matière d’actions relatives aux baux commerciaux :

-les actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux, qui relèvent de la prescription biennale prévue par l'article L. 145-60 du code de commerce ( : , note C.-E. Brault),

-les actions qui ne mettent pas en cause le statut des baux commerciaux et qui sont alors soumises à la prescription quinquennale de droit commun prévue par l'article 2224 du code civil ( – , obs. S. Chastagnier),

-et les actions en contestation de validité des clauses du bail fondées sur les articles L. 145-15 et L. 145-16, pour lesquelles aucune prescription n’est encourue.

RÉPARATIONS LOCATIVES ET PRÉJUDICE DU BAILLEUR (Cass. 3e civ., 7 janvier 2021, n° 19-23269) :

L'indemnisation du bailleur, à raison des dégradations qui affectent le bien loué et qui sont la conséquence de l’inexécution par le preneur de ses obligations, n’est subordonnée ni à l'exécution de réparations par le bailleur, ni à l’engagement effectif de dépenses, ni à la justification d’une perte de valeur locative. 

Selon les dispositions de l’article 1732 du Code civil, le preneur répond des dégradations ou des pertes qui arrivent pendant la jouissance du bien qu’il occupe, à moins qu’il ne prouve qu’elles ont eu lieu sans sa faute.

L’indemnisation du bailleur répond aux règles du droit commun, ce qui suppose une faute, un préjudice et un lien de causalité, selon le principe posé par la Cour de cassation aux termes duquel « des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge, au moment où il statue, constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » 

Selon ce principe, le bailleur doit prouver l’inexécution des obligations du preneur et le préjudice direct qui en découle. Dès lors, le bailleur ne peut justifier d’aucun préjudice lorsque les locaux sont destinés à être détruits ( ou lorsque le bailleur fait le choix de réaménager complètement ses locaux et d’offrir un immeuble entièrement restructuré (, ou même encore lorsque le bailleur reloue les locaux sans faire de travaux alors que le locataire sortant avait effectué, sans autorisation, des travaux améliorant les locaux loués ( ).

Mais l’indemnisation du bailleur à raison des dégradations affectant l’immeuble loué et qui sont la conséquence de l’inexécution par le preneur de ses obligations n’est pas subordonnée à l’exécution des réparations par le bailleur ni à l’engagement effectif de dépenses (

En l’espèce, le bailleur faisait grief à la cour d’appel de l’avoir partiellement indemnisé du préjudice subi du fait du non-respect, par le locataire sortant, de ses obligations d’entretien et de réparations locatives.

Pour la cour d’appel, le bailleur avait immédiatement reloué les locaux sans faire procéder aux réparations qu’il imputait au locataire sortant, si bien qu’il ne pouvait solliciter que la réparation d’un préjudice effectivement subi, ce qui supposait que le bailleur ait réparé les désordres constatés dans l’état des lieux de sortie ou les ait pris à sa charge dans le cadre d’une relocation à des conditions plus défavorables.

Le juge du fond relevait que le nouveau bail avait été consenti avec une franchise de loyer en contrepartie de travaux que le nouveau locataire s’engageait à réaliser, et que le descriptif de ces travaux ne concernait pas les dégradations reprochées au locataire sortant.

La cour d’appel relevait également qu’aucun élément ne permettait d’établir que la diminution du loyer consentie au nouveau locataire se trouvait en lien avec l’état des locaux délaissés, de telle sorte que le bailleur n’établissait pas de lien de causalité entre la franchise et la diminution de loyer consentie, ni même entre les travaux qu’il avait supportés à la demande du nouveau locataire et la faute commise par le locataire sortant.

La Cour de cassation censure cette décision en rappelant que l’indemnisation du bailleur à raison des dégradations qui affectent le bien loué, lesquelles sont la conséquence de l’inexécution par le preneur de ses obligations, n’est pas subordonnée à l’exécution de réparations par le bailleur ni à l’engagement effectif de dépenses ni même à la justification d’une perte de la valeur locative.

Pour la Cour de cassation, le juge du fond, qui avait constaté l’inexécution de ses obligations par le locataire sortant, ne pouvait limiter l’indemnisation qui en découlait au seul motif du défaut d’exécution des réparations par le bailleur ou du défaut de justification d’une perte de valeur locative dans le cadre du nouveau bail. Si les trois éléments de la responsabilité contractuelle sont réunis, à savoir une faute, un préjudice et le lien de causalité, le juge ne peut subordonner à de nouvelles conditions la réparation du préjudice qu’il a lui-même constaté.

LA FIXATION DU LOYER RENOUVELÉ À LA VALEUR LOCATIVE SANS PLANCHER NE PORTE PAS ATTEINTE AU DROIT DE PROPRIÉTÉ (Cass. 3e civ., 12 novembre 2020, n° 20-15179, FS-P+B+I) :

La fixation du loyer à la valeur locative, sans plancher à la baisse, ne porte pas atteinte au droit de propriété et n’est pas contraire au principe d’égalité.

Dans le cadre d’une procédure de fixation de loyer en renouvellement, une cour d’appel fixait le loyer à une valeur locative inférieure au dernier loyer contractuel, et même au loyer d’origine.

À l’occasion du pourvoi formé à l’encontre de cet arrêt, les bailleurs posaient une question prioritaire de constitutionnalité en soutenant que l’absence de limite à la baisse du montant du loyer fixé à la valeur locative portait atteinte au droit de propriété et au principe d’égalité, en posant la question prioritaire de constitutionnalité

Il faut rappeler à cet égard le principe posé par selon lequel le loyer doit correspondre à la valeur locative. À défaut de disposition contractuelle contraire, un loyer de renouvellement est automatiquement fixé à la valeur locative lorsqu’elle s’avère inférieure au calcul résultant du plafonnement, même à un prix inférieur au dernier loyer contractuel ( : , note C.-E. Brault – ), tandis que cette fixation automatique à une valeur locative inférieure n’implique pas, pour le locataire, d’établir une quelconque modification notable d’un des éléments de la valeur locative ( – : , obs. S. Chastagnier ; v. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, éd. 2020, LGDJ, annot. sous art. L. 145-34, p. 179).

C’est la raison pour laquelle le juge a l’obligation de rechercher cette valeur locative au regard des critères légaux ( : , note C.-E. Brault).

Dans l’arrêt commenté, les bailleurs estimaient que la fixation du loyer à une valeur locative sans plancher portait atteinte à leur droit de propriété et s’avérait contraire au principe d’égalité.

1- La Cour de cassation rappelle tout d’abord que les règles de fixation du loyer en renouvellement ne sont pas d’ordre public et que les parties peuvent décider de les écarter afin de fixer d’un commun accord le prix du loyer de renouvellement.

La haute juridiction précise ensuite que le bailleur dispose de la faculté de demander la révision du loyer à l’issue d’une période de 3 ans, et de compenser ainsi partiellement la perte de revenus subie lors du renouvellement. On relèvera cependant que les critères requis pour obtenir la fixation du loyer en révision à la valeur locative sont particulièrement difficiles à remplir, tant au regard des dispositions de l’article L. 145-38 du Code de commerce (modification matérielle des facteurs locaux de commercialité) que de l’article L. 145-39 du Code de commerce qui implique une variation de plus de 25 % découlant de la clause d’indexation prévue au bail (V. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, 1re éd., 2020, LGDJ, annot. sous art. L. 145-38 et L. 145-39).

Enfin, la haute juridiction précise qu’une fixation du loyer de renouvellement à la valeur locative, y compris à la baisse, correspond au « juste prix du bail » déterminé si nécessaire après expertise contradictoire et sous le contrôle du juge.

2- En ce qui concerne la question du principe d’égalité, la Cour de cassation rappelle que le bailleur et le preneur ne sont pas dans une situation identique ce qui peut conduire le législateur à les soumettre à un traitement différent afin d’assurer la protection du preneur contre la surélévation du loyer en cas de dégradation de l’environnement économique du bail.

Il est avéré qu’un motif d’intérêt général peut justifier une atteinte au droit de propriété et au principe d’égalité dès lors que cette atteinte est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, ce que rappelait le Conseil constitutionnel dans sa décision selon laquelle le nouveau mécanisme de lissage d’un déplafonnement du loyer est conforme à la Constitution ( : , note C.-E. Brault).

Dès lors, la fixation du loyer de renouvellement à une valeur locative sans plancher à la baisse ne porte pas atteinte au droit de propriété et n’est pas contraire au principe d’égalité. La Cour de cassation refuse ainsi de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée. 

RENVOI AU CONSEIL CONSTITUTIONNEL D’UNE QPC SUR L’ABSENCE DE PLAFOND DU MONTANT DE L'INDEMNITÉ D'ÉVICTION (Cass. 3e civ., QPC, 10 déc. 2020, n° 20-40059, FS-P+B) :

En retenant que l'indemnité d'éviction doit notamment comprendre la valeur vénale du fonds de commerce définie selon les usages de la profession sans prévoir de plafond, de sorte que l'indemnité d'éviction pourrait dépasser la valeur vénale de l’immeuble, l’article L 145-14 du code de commerce contesté est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur et la QPC présente donc un caractère sérieux. 

Par jugement du 17 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a transmis à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L’article L. 145-14 du code de commerce est-il conforme à la Constitution et au bloc de constitutionnalité, précisément au droit de propriété garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté contractuelle garantie par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, à la liberté d’entreprendre protégée par l’article 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, au principe d’égalité garanti par l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 et les articles 1 et 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, et respecte-t-il la compétence réservée à la loi par la Constitution de 1958 ? »

La Cour de cassation relève que l’article L. 145-14 du code de commerce n’a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

Cet article institue pour le bailleur la faculté de refuser le renouvellement du bail en payant une indemnité d'éviction dont les critères d'appréciation sont définies par l’alinéa 2 du texte (cf. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, éd. 2020, LGDJ, annot. sous art. L. 145-14, p. 78 et s.) et l’indemnité comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des indemnités dites annexes ou accessoires.

Le texte légal ne prévoit donc pas de plafond de l’indemnité d’éviction ce qui suscite de légitimes interrogations lorsque la valeur de l’immeuble ne suffirait pas à indemniser le locataire évincé.

La Cour de cassation relève que le montant de cette indemnité peut alors dépasser la valeur vénale de l’immeuble, de telle sorte que l’article L. 145-14 du Code de commerce est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit de propriété du bailleur.

Il restera au Conseil constitutionnel d’apprécier si l’atteinte au droit de propriété répond à un objectif d’intérêt général, tandis qu’un bailleur pourra souvent percevoir, du nouveau locataire, un pas-de-porte compensant en partie l’indemnité d’éviction qu’il aura dû verser.

L’ORDONNANCE PASSÉE EN FORCE DE CHOSE JUGÉE INTERDIT ENSUITE AU BAILLEUR D’OBTENIR L’EXÉCUTION FORCÉE DU BAIL (Cass. 3e civ., 22 octobre 2020, n° 19-19542, FS-P+B+I) :

Dès lors que l'ordonnance de référé est passée en force de chose jugée, et en l’absence de décision contraire statuant au principal, le bailleur ne peut plus, en cas de non-respect par le preneur des délais de paiement conditionnant la suspension des effets de la clause résolutoire, demander unilatéralement l'exécution du bail résilié.

Le présent arrêt destiné notamment à une publication au bulletin de la Cour de cassation, permet d’appréhender les conséquences, à l’égard du bailleur, d’une ordonnance définitive ayant suspendu les effets de la clause résolutoire lorsque les délais accordés au preneur n’ont pas été respectés.

Dans cette espèce, un bail comportait une clause résolutoire avec la mention « si bon semble au bailleur » et le bailleur, confronté à des impayés, avait signifié commandement de payer visant cette clause résolutoire puis saisi le juge des référés en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire avec demande de condamnation par provision.

L'ordonnance de référé condamnait la société locataire au paiement de l’arriéré de loyer par provision et suspendait les effets de la clause résolutoire en accordant des délais de paiement avec déchéance du terme.

Le bailleur signifiait cette ordonnance qui n’était pas frappée d’appel et était donc passée en force de chose jugée. Alors que le locataire n’avait pas respecté les délais prévus par l'ordonnance, le bailleur le mettait en demeure de payer l’arriéré tandis que le locataire informait ensuite le bailleur qu’il prenait acte de la résiliation définitive du bail et entendait ainsi restituer les clefs.

Manifestement contrarié par la réponse de son locataire, le bailleur lui précisait qu’il renonçait à se prévaloir de l'acquisition de la clause résolutoire, puis saisissait le tribunal en vue d’obtenir la condamnation du locataire à exécuter le bail et subsidiairement à payer les loyers et charges jusqu’à la fin de l’échéance triennale.

La cour d’appel estimait que le bailleur avait valablement renoncé au bénéfice de l'acquisition de la clause résolutoire, et constatait que le bail s’était poursuivi entre les parties jusqu’à ce que le bailleur ait accepté une résiliation unilatérale du bail par le locataire. Ceci étant, le locataire était condamné à payer une somme correspondant aux loyers et charges demeurant impayés jusqu’à la date de la résiliation acceptée par le bailleur.

Pour le juge du fond, le bailleur conservait la faculté de poursuivre ou non, à ses risques et périls, l'exécution du titre provisoire qu’il avait obtenu, de telle sorte que la simple signification de l'ordonnance de référé destinée à faire courir le délai de paiement ne pouvait caractériser son intention de poursuivre définitivement l'acquisition de la clause résolutoire dès lors qu’il n’avait engagé aucun acte d’exécution forcée.

Dans son pourvoi, le preneur estimait que le bailleur ne pouvait plus renoncer à l'application de la clause résolutoire en revendiquant l’exécution forcée du bail dès lors qu’il avait été statué sur l'acquisition de la clause résolutoire par une décision passée en force de chose jugée. Cette acquisition définitive de la clause résolutoire avait irrévocablement mis fin au bail empêchant le bailleur d’en poursuivre l'exécution.

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel pour violation des dispositions de l'article L. 145-41 du code de commerce : « dès lors que l'ordonnance de référé était passée en force de chose jugée et en l’absence de décision contraire statuant au principal, le bailleur ne peut plus, en cas de non-respect par le preneur des délais de paiement conditionnant la suspension des effets de la clause résolutoire, demander unilatéralement l'exécution du bail qui se trouvait résilié ».

Il a été jugé qu’un bailleur peut renoncer à invoquer le bénéfice de la clause résolutoire, mais cette renonciation doit être caractérisée par des actes positifs ( ; et intervenir avant que la décision statuant sur la clause résolutoire ne soit définitive, et que l'article 488 du code de procédure civile ne permettait pas au juge du fond d’accorder de nouveaux délais au preneur qui n’avait pas respecté un échéancier fixé par le juge des référés (: Loyers et copr. 

Lorsque la clause résolutoire est stipulée au seul profit du bailleur, la jurisprudence considère qu’un locataire ne peut se prévaloir de la clause ( : , note C.-E. Brault –  : , obs. S. Chastagnier), même si le débat s’est ensuite trouvé relancé par une décision controversée rendue dans une espèce où la clause résolutoire n’était pas stipulée exclusivement en faveur du bailleur ( ).

Le mécanisme de la clause résolutoire doit donc être utilisé avec précaution par le bailleur, puisqu’un locataire avisé peut solliciter devant le juge des référés la suspension de la clause résolutoire avec l'octroi de délais de paiement, puis, une fois l'ordonnance définitive passée en force de chose jugée, ne pas respecter cet échéancier et tirer profit du bail résilié pour restituer les clefs au bailleur.

INCOMPÉTENCE DU JUGE DES RÉFÉRÉS POUR DÉSIGNER UN EXPERT AFIN D’APPRÉCIER LA VALEUR LOCATIVE (CA Versailles, 5 novembre 2020, n° 20/02776) :

Les parties ne se prévalent que d’un désaccord sur le nom de l’expert pour apprécier le prix du loyer de renouvellement, ce qui ne suffit pas à caractériser l’existence d’un procès en germe, nécessaire à l'application de l'article 145 du code de procédure civile pour saisir le juge des référés.

Si les clauses du bail prévoient que les parties s’en remettent à l’avis d’un expert désigné d’un commun accord, ou à défaut à la requête de la partie la plus diligente par le président du tribunal judiciaire, elles ne peuvent, en application de l'article R. 145-23 du code de commerce, que saisir le président du tribunal judiciaire en qualité de juge des loyers commerciaux, et non le juge des référés.

En matière de bail commercial, les règles de compétence matérielle et territoriale sont fixées par les dispositions de l’article R. 145-23 du Code de commerce (cf. J.-D. Barbier et C.-E. Brault, Le statut des baux commerciaux, éd. 2020, LGDJ, annot. sous art. R. 145-23, p. 346 et s.).

Le juge des loyers commerciaux est ainsi seul compétent pour fixer le loyer du bail révisé ou renouvelé, tandis que le président du tribunal judiciaire, statuant en référé, peut connaître d’un bail commercial dans le cadre de sa compétence générale définie par le Code de procédure civile. C’est ainsi que le juge des référés ne peut ordonner une expertise pour estimer la valeur locative en raison de la compétence exclusive du juge des loyers commerciaux (CA Paris, 13 févr. 1991, n° 90/24643 : Loyers et copr. 1991, comm. 472, obs. P. H. Brault).

La Cour de cassation avait cependant admis la compétence du juge des référés pour désigner un expert afin d’apprécier la valeur locative de locaux à usage commercial, mais il ne s’agissait pas d’une procédure de fixation de loyer de renouvellement mais d’une action en révocation et en responsabilité d’un associé cogérant d’une société civile immobilière (Cass. 3e civ., 24 juin 2008, n° 07-14292).

Dans la présente espèce, la cour d’appel de Versailles rappelle l’incompétence du juge des référés pour désigner un expert dans le cadre de la fixation du loyer du bail renouvelé, puisque seul le juge des loyers commerciaux peut ordonner une expertise.

Mais cette affaire se présentait dans un contexte particulier puisqu’il s’agissait d’un bail de centre commercial contenant une clause selon laquelle la partie fixe du loyer de renouvellement serait fixée à la valeur locative appréciée selon les conditions du statut des baux commerciaux, tandis qu’à défaut d’accord, les parties s’en remettaient à l’avis d’un expert désigné d’un commun accord, ou à défaut par le président du tribunal judiciaire.

La cour d’appel relève tout d’abord que l’absence d’accord des parties sur le nom d’un expert ne suffit pas à caractériser l’existence d’un procès en germe, requise en référé et nécessaire à l’application des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile.

Par ailleurs, si les parties donnaient compétence au président du tribunal judiciaire pour désigner cet expert à défaut d’accord, il ne pouvait s’agir du président statuant en qualité de juge des référés, mais du juge des loyers commerciaux en application des dispositions de l’article R. 145-23 du Code de commerce.