Décisions récentes commentées par Maître Charles-Edouard BRAULT

COMMENTAIRES A LA GAZETTE DU PALAIS, NUMERO SPECIAL DROIT DES BAUX COMMERCIAUX, DU 16 JUILLET 2019 :

  • SUR LE PÉRIMÈTRE DES CHARGES IMPUTABLES AU PRENEUR ET LA PRESCRIPTION DE L’ACTION EN RESTITUTION (Cass. 3e civ., 9 mai 2019, n° 16-24701, FS-P+B+I) :

Ayant relevé que les charges de copropriété n’étaient pas stipulées au bail comme étant supportées par le preneur, la cour d’appel en a exactement déduit que l’action en répétition de ces charges indûment payées n’était pas soumise à la prescription abrégée édictée par l'art. 2277 C. com. dans sa rédaction issue de la loi du 18 janvier 2005 ;

Le bail régularisé entre les parties ne comportait aucune stipulation précise au titre des charges et taxes incombant au preneur, puisqu’il était simplement précisé « (…) lequel loyer, la société preneuse s’engage à payer en même temps que les charges au bailleur (…) », puis que le locataire « s’oblige à acquitter pendant le cours du bail la contribution personnelle mobilière et la taxe professionnelle, les contributions de toute nature, et de rembourser au bailleur la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la taxe d’assainissement et toute autre taxe et impôt de toute nature incombant généralement au preneur ».

À la lumière de la volonté des parties s’interprétant selon les stipulations contractuelles et leur comportement, la cour d’appel avait considéré que le fait d’avoir payé des charges réclamées pendant de nombreuses années ne pouvait constituer un acte positif de renonciation du preneur à contester les charges, qu’en l’absence de dispositions du bail concernant le remboursement des charges de copropriété, celles-ci n’étaient pas dues par le preneur, et que la répétition des charges payées indûment obéissait au droit commun, de telle sorte que la prescription était trentenaire et non soumise à la prescription quinquennale.

En l’espèce, il s’agissait donc de déterminer si le preneur pouvait être tenu au remboursement des charges de copropriété, et ce en l’état des dispositions contractuelles.

Or, le bail ne comportait aucune stipulation expresse, tandis qu’il est admis qu’à défaut de précision un preneur ne peut être tenu du remboursement des charges de copropriété (CA Paris, 24 janv. 2018, n° 16/08577 ; CA Pau, 20 févr. 2017, n° 15/00540).

La Cour de cassation rejette le pourvoi dont elle avait été saisie, puisque les charges dites de copropriété n’étaient nullement stipulées au bail comme devant être supportées par le preneur.

Le bailleur faisait ensuite grief à la cour d’appel d’avoir écarté l'application de la prescription quinquennale de l’ancien art. 2277 C. civ. dans sa rédaction issue de la loi du 18 janvier 2005, au motif que la répétition des charges acquittées par le preneur devait obéir au droit commun soit à la prescription trentenaire avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008.

Mais en l’espèce le locataire avait assigné avant la loi du 17 juin 2008, tandis que la cour d’appel avait estimé qu’il ne s’agissait pas d’une action en répétition de charges locatives qui n’étaient pas liées à l’usage de la chose louée par le locataire, et qu’elles ne lui étaient pas imputables contractuellement.

Ce faisant, l’action en répétition n’était pas soumise à l’ancien art. 2277 C. civ., et la Cour de cassation approuve cette position.

  • L’ARTICLE L. 145-16-2 SUR LA CLAUSE DE GARANTIE DU CÉDANT EST D’ORDRE PUBLIC MAIS NE RÉPOND PAS A UN MOTIF IMPÉRIEUX D’INTÉRÊT GÉNÉRAL (Cass. 3e civ., 11 avril 2019, n° 18-16121, FS-P+B+I) :

L'art. L. 145-16-2 C. com., qui revêt un caractère d’ordre public, ne répond pas à un motif impérieux d’intérêt général justifiant son application immédiate, et la garantie solidaire dont ce texte limite la durée à trois ans ne constitue pas un effet légal du contrat mais demeure régi par la volonté des parties, de telle sorte que ce texte n’est pas d'application immédiate.

Dans cette affaire le bail liant les parties contenait une clause de garantie solidaire en cas de cession, rédigée de la manière suivante : « Le preneur pourra librement céder son droit au présent bail à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise, ou d’une partie, sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’agrément préalable du bailleur sur l’identité de l’acquéreur. Il est ici précisé qu’en cas de cession du droit au bail, les engagements contenus dans le protocole d’information signé ce jour seront repris par les cessionnaires successifs du bail en leur qualité de nouveau preneur exploitant des locaux loués. Dans ce cas, le preneur restera garant solidairement avec son cessionnaire du paiement des loyers et des charges au titre du présent bail jusqu’à l’expiration de la durée restant à courir du bail à compter de la date de cession, mais seulement dans l'hypothèse où le cessionnaire n’a pas une surface financière suffisante ».

En cours de bail, la société locataire a procédé à des apports partiels d’actifs de son activité exercée sur plusieurs sites, et devant l’absence de règlement des loyers et accessoires par les locataires substitués, le bailleur assignait les sociétés bénéficiaires des apports ainsi que la société cédante, au titre de la garantie solidaire prévue par le bail.

Il s’agissait donc de déterminer si cette clause de garantie pouvait jouer dans le cadre d’un apport partiel d’actifs, mais aussi et surtout si les nouvelles dispositions de l'art. L. 145-16-2 C. com. devaient s’appliquer avec une limitation de la garantie solidaire à trois ans.

1)  La clause de garantie solidaire au regard de l’apport partiel d’actifs

S'agissant en l’espèce de la scission du locataire initial en plusieurs autres sociétés par le biais d’apports partiels d’actifs, les baux avaient bien été transférés à chaque société issue de la scission en application des dispositions de l'art. L. 145-16 C. com.

Dès lors, la clause de garantie avait bien vocation à s’appliquer dans le cadre des cessions par voie d’apports.

2)   L'art. L. 145-16-2 est d’ordre public mais n’est pas d'application immédiate aux baux en cours

La Cour de cassation n’hésite pas à étendre l’ordre public dans les baux commerciaux et le droit de préemption du locataire a récemment été érigé en règle d’ordre public dans le cadre d’une décision qui évoquait principalement la question du sort de la commission de l’agent immobilier mais qui donnait l’occasion à la Cour de cassation de formuler un attendu de principe (Cass. 3e civ., 28 juin 2018, n° 17-14605 : Loyers et copr. 2018, comm. n° 201, obs. Brault P.H.) de telle sorte que l’attention des praticiens avait été attirée sur les conséquences d’éventuelles dérogations relatives à la garantie du cédant (Brault C.-E., « Évolution et perspectives du droit de préemption légale du locataire » : Gaz. Pal. 19 mars 2019, p. 57).

La haute juridiction use à nouveau de son pouvoir de détection d’une règle d’ordre public, en précisant que les nouvelles dispositions légales relatives à la durée de la garantie du cédant sont impératives.

Mais en précisant que l'art. L. 145-16-2 ne répondait pas à un motif impérieux d’intérêt général et que la garantie solidaire limitée à la durée de trois ans ne constituait pas un effet légal du contrat et demeurait régie par la volonté des parties, la Cour de cassation nous précise donc que le nouveau texte n’est pas d'application immédiate aux baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014.

À défaut de disposition expresse prévue par cette loi, seul un motif impérieux aurait pu justifier une application immédiate.

  • OFFRE D’UN LOCAL DE REMPLACEMENT ET MONTANT D’UNE INDEMNITÉ D'OCCUPATION ATTEINTE PAR LA PRESCRIPTION (Cass. 3e civ., 14 mars 2019, n° 18-11991) :

Pour retenir le caractère transférable du fonds de commerce et fixer l’indemnité d’éviction à la valeur du droit au bail, la cour d’appel a retenu que le procès-verbal de constat d’huissier de justice produit par le bailleur établit la disponibilité, à proximité des lieux, de locaux équivalents susceptibles de permettre à la société locataire de poursuivre son activité commerciale.

En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la société locataire avait déjà libéré les lieux, la cour d’appel a violé les dispositions des articles L. 145-14 et L. 145-18 du Code de commerce.

Pour accueillir la demande de la société locataire en restitution des sommes versées pendant la période de maintien dans les lieux, la cour d’appel a retenu que l’action en paiement de l’indemnité d’occupation atteinte par la prescription entraînait l’extinction totale du droit à réclamer cette indemnité.

En statuant ainsi, alors que le maintien dans les lieux se fait aux clauses et conditions du contrat expiré et que l’indemnité d’occupation est réputée fixée à la valeur du dernier loyer payé en l’absence de fixation en application des dispositions de l’article L. 145-28 du Code de commerce, la cour d’appel a violé le texte susvisé.

Dans cette affaire, le bailleur avait délivré congé en refusant le renouvellement et avec offre d’indemnité d’éviction à effet du 30 juin 2010, tandis que le locataire avait exercé son droit au maintien dans les lieux prévu par l’article L. 145-58 du Code de commerce, et ce jusqu’au 2 avril 2013, date à laquelle les locaux évincés avaient été restitués au bailleur.

Il est admis qu’aucune disposition légale ne fait obligation au preneur de poursuivre ses activités dans les locaux dont il est évincé postérieurement à l’échéance du bail, tandis que la restitution des locaux ne peut valoir renonciation à l’indemnité d’éviction (;

L’article L. 145-14 édicte une présomption de perte de fonds, mais le bailleur peut rapporter la preuve que le préjudice subi sera moindre, en justifiant notamment d’une activité transférable, impliquant dès lors qu’une valeur de droit au bail soit retenue pour apprécier l’indemnité d’éviction et non la valeur marchande du fonds de commerce 

Le bailleur tentait d’obtenir une évaluation minorée de l’indemnité d’éviction, en produisant aux débats un procès-verbal de constat permettant d’établir la disponibilité d’autres locaux à proximité immédiate qui aurait permis au locataire évincé de poursuivre son activité dans la même rue, sans perte de clientèle.

Mais lorsque le preneur renonce au bénéfice du maintien dans les lieux, l’indemnité d’éviction doit s’apprécier en se plaçant à la date du délaissement des lieux loués ( : Loyers et copr. 2001, comm. 292, note Brault P.-H.) tandis que le constat produit par le bailleur avait été dressé neuf mois après la restitution des locaux évincés.

La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel qui avait retenu le caractère transférable du fonds de ce constat, puisque l’indemnité d’éviction devait être évaluée en se plaçant exclusivement à la date de restitution effective des locaux évincés

S’agissant de l’indemnité d’occupation, l’action en fixation de cette indemnité prévue par l’article L. 145-28 doit être exercée dans le délai de prescription de deux ans. Ce délai a pour point de départ la date d’expiration du bail (ou la date d’exercice du droit d’option par le bailleur ( : , note Brault C.-E.), mais il ne peut commencer à courir avant le jour où est définitivement consacré, dans son principe, le droit du preneur au bénéfice d’une indemnité d’éviction ( : Gaz. Pal. 2 juill. 2011, , note Brault C.-E. –

En l’espèce, la censure de la cour d’appel s’avérait inéluctable car si l’action en fixation du montant de l’indemnité d’occupation est prescrite, le preneur évincé reste néanmoins tenu du dernier loyer contractuel qui s’est transformé en indemnité d’occupation jusqu’à la date de restitution des locaux.

Seule la fixation du montant de l’indemnité d’occupation selon les critères de l’article L. 145-28 du Code de commerce se trouve prescrite, et non l’exigibilité du paiement de cette indemnité qui est alors réputée fixée au montant du dernier loyer payé en l’absence de fixation du fait de la prescription.

  • UNE INDEMNITÉ D’ÉVICTION DE DÉPLACEMENT A POUR ASSIETTE LA VALEUR DE DROIT AU BAIL (Cass. 3e civ., 28 mars 2019, n° 18-11739) :

Pour exclure toute prise en compte de la valeur de droit au bail dans le calcul de l'indemnité d'éviction, la cour d’appel a retenu que la société évincée a transféré son fonds de commerce dans d’autres locaux, de sorte que son préjudice est nécessairement inférieur à la valeur de ce fonds.

En statuant ainsi par un motif impropre à exclure l'indemnisation sollicitée de la perte du droit au bail, la cour d’appel a violé l'art. L. 145-14 C. com.

L'art. L. 145-14 édicte une présomption de perte de fonds de commerce, mais le bailleur peut naturellement rapporter la preuve que le préjudice subi sera moindre (Cass. 3e civ., 18 déc. 2012, n° 11-23273).

Dans cette affaire, le locataire évincé avait quitté les locaux en cours de procédure pour s’installer à environ 37 km. Il n’était pas discuté que ce transfert n’impliquait pas la perte totale de la clientèle, et ce compte tenu de l’activité de livraison de repas pour les collectivités exercée par le preneur.

La zone d’activité était donc très étendue à partir des locaux exploités, et la cour d’appel avait estimé que le préjudice était nécessairement inférieur à la valeur du fonds, ce qui paraissait difficilement contestable, mais qu’il ne fallait pas prendre en compte la valeur de droit au bail.

Or, l’indemnité de déplacement en cas de transfert du fonds exploité a pour assiette la valeur de droit au bail majorée des indemnités accessoires liées au transfert.

Dans son pourvoi, le preneur reprochait donc à la cour d’avoir refusé d’indemniser un préjudice dont elle avait constaté l’existence puisqu’il avait été nécessairement privé de la valeur de droit au bail, peu important qu’il ait pu transférer son fonds dans d’autres locaux.

L’arrêt est logiquement sanctionné par la Cour de cassation qui rappelle que l'indemnisation de la perte du droit au bail ne peut être exclue dans ce type d’hypothèse.

S'agissant d’un transfert d'ores et déjà effectué à la date où le juge statue, cette valeur de droit au bail prend théoriquement en compte le différentiel de loyer au titre des locaux ayant fait l’objet de l’éviction (Cass. 3e civ., 15 oct. 2008, n° 07-17727 : Loyers et copr.

  • LA SOUS-LOCATION IRRÉGULIÈRE CONSTITUE UN MOTIF DE REFUS DE RENOUVELLEMENT SANS INDEMNITÉ (CA Paris, 10 avril 2019, n° 17/15629) :

Constitue un motif grave et légitime justifiant le refus de paiement de l'indemnité d'éviction, la sous-location portant sur la totalité des lieux loués qui, bien qu’autorisée par le bail, n’a pas été consentie par acte authentique tandis qu’aucune copie exécutoire n’a été remise au bailleur.

Il importe peu que cette sous-location ait pris fin par la suite, puisqu’elle a fait obstacle à la possibilité pour le bailleur de solliciter éventuellement une augmentation du montant du loyer en application de l'art. L. 145-31 C. com.

Le bail régularisé par les parties avait été consenti avec une destination tous commerces et l’autorisation d’une sous-location totale sous réserve qu’elle soit conclue par acte authentique avec remise d’une copie exécutoire au bailleur.

Informé d’une sous-location des locaux au mépris des dispositions contractuelles compte tenu du défaut de remise d’une copie exécutoire de ce contrat de sous-location, le bailleur faisait délivrer une sommation d’avoir à communiquer l’acte authentique de sous-location, puis un congé valant refus de renouvellement et de paiement de l'indemnité d'éviction.

Saisi par le locataire, le tribunal estimait que le motif grave et légitime visé au congé n’était pas justifié, de telle sorte que le locataire pouvait donc prétendre au paiement de l'indemnité d'éviction prévue à l'art. L. 145-14 C. com. (Cass. 3e civ., 15 mai 2008, n° 07-12669 : Gaz. Pal. 7 févr. 2009, p. 23, note Brault C.E. ; Cass. 3e civ., 28 oct. 2009, n° 07-18520 et 08-16135).

La cour d’appel infirme le jugement en relevant que la sous-location totale des lieux loués était avérée et que le motif grave et légitime pour refuser le paiement de l'indemnité d'éviction était établi puisque cette sous-location n’avait pas été consentie par acte authentique et qu’aucune copie exécutoire n’avait pu être remise au bailleur. Pour la cour, cette situation avait fait obstacle à la possibilité du bailleur de solliciter l'augmentation du loyer du bail principal, s’il avait eu connaissance du montant du loyer du sous-bail, et ce nonobstant le fait que la sous-location avait pris fin en cours de procédure.

Il convient de rappeler que le motif grave et légitime permettant à un bailleur de refuser le renouvellement sans paiement d'indemnité d'éviction est apprécié souverainement par le juge du fond (Cass. 3e civ., 28 sept. 2004, n° 03-12189 ; Cass. 3e civ., 9 juin 2009, n° 08-13389 ; Cass. 3e civ., 1er déc. 2016, n° 15-25932), tandis qu’un bailleur doit justifier du manquement allégué mais également de sa gravité et de sa persistance lorsqu’il ne s’agit pas d’une infraction irréversible (Cass. 3e civ., 7 mars 2012, n° 10-22738 : Loyers et copr. 2012, comm. n° 240, note Brault P.H.).

Lorsqu’il s’agit d’infractions aux clauses du bail relatives à la sous-location, la jurisprudence traditionnelle estime qu’il s’agit d’un motif suffisant de refus de renouvellement, notamment en cas de violation d’une clause limitant le droit de sous-location ou d’omission d’appeler le bailleur à concourir à l’acte de sous-location (Cass. 3e civ., 9 juil. 2003, n° 02-11621 ; Cass. 3e civ., 6 oct. 2016, n° 14-23375).

Mais l'art. L. 145-17-I fait obligation, en cas d’inexécution d’une obligation contractuelle de nature continue ou de cessation sans raison sérieuse et légitime de l'exploitation du fonds, de notifier une mise en demeure faisant courir un délai d’un mois, et ce n’est que dans l'hypothèse où cette infraction s’est poursuivie ou renouvelée passé ce délai, que le bailleur est alors fondé à refuser le renouvellement sans indemnité d'éviction (Cass. 3e civ., 7 mars 2012, n° 10-22738).

Traditionnellement, il est admis que l’omission d’appeler le bailleur à concourir à un acte de sous-location constitue une infraction irréversible (Cass. 3e civ., 9 juil. 2003, n° 02-11621 ; CA Paris, 16 oct. 2013, n° 11/22582), de même qu’en cas de sous-location irrégulière (Cass. 3e civ., 25 sept. 2002, n° 01-01437 ; CA Lyon, 19 févr. 2013, n° 11/06744).

L’arrêt de la cour d’appel de Paris du 10 avril 2019 reprend la position traditionnelle de la jurisprudence, et sanctionne la sous-location qui avait été consentie sans respecter les conditions du bail qui imposait l’acte authentique et la remise d’une copie exécutoire au bailleur. Pour autant, la cour ne se prononce pas sur le caractère irréversible d’une telle infraction.

  • PAIEMENT DE L'INDEMNITÉ D'ÉVICTION ET ACTION EN RÉPÉTITION D’INDEMNITÉS ACCESSOIRES VERSÉES PAR LE BAILLEUR (Cass. 3e civ., 28 mars 2019, n° 17-17501, FS-P+B+I) :

L’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice. Dès lors que postérieurement à la décision de fixation de l'indemnité d'éviction le preneur ne s’était pas réinstallé, le bailleur est recevable à demander la répétition des indemnités de remploi, de trouble commercial et des frais de déménagement.

Le locataire ne peut théoriquement arguer que l'indemnisation qui lui a été allouée ne lui a pas permis de se réinstaller, pour tenter de remettre en cause l'indemnité d'éviction qu’il a perçue, mais il arrive fréquemment qu’un bailleur conteste le principe et le montant d’indemnités accessoires qui ont été allouées au locataire évincé, en arguant d’une fraude ou d’un défaut de réinstallation, et ce pour obtenir le remboursement des sommes qu’il estime indûment perçues.

Dans le cadre de la fixation de l'indemnité d'éviction, c’est au bailleur d’apporter la preuve de l’absence de réinstallation du locataire (Cass. 3e civ., 18 déc. 2012, n° 11-23273 : Gaz. Pal. 19 avril 2013, p. 29, note Brault C.E.), ce qui peut aboutir à l’absence de versement des frais de remploi (Cass. 3e civ., 17 nov. 2016, n° 15-19741) ou des frais de réinstallation (Cass. 3e civ., 12 janv. 2017, n° 15-25939, Loyers et copr. 2017, comm. 65, note Brault P.H.).

Une difficulté peut également se présenter lorsque la décision fixant l'indemnité d'éviction a déjà été rendue.

Selon un principe constant, l'indemnité d'éviction doit être évaluée à la date la plus proche du départ du locataire, c’est-à-dire à la date où le juge statue (Cass. 3e civ., 24 nov. 2004, n° 03-14620 : Gaz. Pal. 2005, 2, jurisp. p. 1247, note Brault C.-E ; Cass. 3e civ., 8 mars 2011, n° 10-15234 ; Cass. 3e civ., 28 sept. 2011, n° 10-12730), tandis que le versement de l’indemnité précède souvent l’éviction elle-même, en application du principe posé par l'art. L. 145-28 C. com. selon lequel aucun locataire évincé ne peut être obligé de quitter les lieux avant d’avoir perçu l’indemnité.

La Cour de cassation a censuré un arrêt de cour d’appel qui avait déclaré irrecevable, car se heurtant à l’autorité de la chose jugée, la demande d’un bailleur en paiement du montant d’indemnités accessoires perçues indûment par le locataire du fait de sa non-réinstallation. Pour la haute juridiction, le bailleur formulait de nouvelles demandes constituées par la fraude du locataire évincé, et étayées par de nouveaux éléments de fait distincts de la procédure de fixation de l'indemnité d'éviction (Cass. 3e civ., 26 sept. 2001, n° 99-21778).

Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 28 mars 2019, le bailleur avait constaté que le locataire ne s’était pas réinstallé six ans après la procédure d’éviction, et engageait dès lors une nouvelle procédure en répétition de l’indu pour solliciter le remboursement des frais de remploi, du trouble commercial et de l'indemnité de réinstallation.

La cour d’appel avait déclaré la demande en répétition de l’indu recevable en condamnant le preneur au remboursement de sommes correspondant aux indemnités visées. La Cour de cassation rejette le pourvoi au motif que l’autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée lorsque des événements postérieurs étaient venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice.

Or, tel était bien le cas en l’absence de réinstallation du locataire évincé plusieurs années après la décision définitive fixant le montant de l'indemnité d'éviction.

Cette décision ouvre de nouvelles perspectives puisque l'indemnisation ne pourrait avoir qu’un caractère provisoire et serait donc susceptible d’être remise en cause ultérieurement à défaut de réinstallation du locataire évincé.

  • RÉVISION À LA VALEUR LOCATIVE EN COURS DE BAIL ET MODALITÉS DE FIXATION DU LOYER DE RENOUVELLEMENT (Cass. 3e civ., 11 avril 2019, n° 18-14252, FS-P+B+I) :

Ayant constaté que le loyer révisé avait été fixé judiciairement à la valeur locative jusqu’au terme du bail, la cour d’appel en a exactement déduit que cette fixation judiciaire intervenue en application des dispositions légales, dans des conditions étrangères au bail, ne constituait pas une modification notables des obligations respectives des parties justifiant le déplafonnement du loyer.

Pour calculer le montant du loyer plafonné en renouvellement, le loyer à prendre en considération pour l'application de la variation indiciaire est celui fixé par les parties lors de la prise d’effet du bail à renouveler, nonobstant la fixation judiciaire du loyer révisé au cours du bail expiré.

Les dispositions de l'art. L. 145-34 C. com. ne sont pas d’ordre public, ce qui permet aux parties de convenir à l’avance des modalités de fixation du loyer de renouvellement, tandis que les dispositions relatives à la révision du loyer en cours de bail sont d’ordre public.

En l’espèce, et quelques mois avant la date d’échéance contractuelle du bail, le bailleur avait notifié une demande de révision du loyer sans que l’on puisse déterminer très clairement s’il s’agissait d’une révision dite triennale fondée sur l'art. L. 145-38 ou d’une révision fondée sur l'art. L. 145-39.

Ce loyer révisé était finalement fixé à la valeur locative, soit à un montant fortement majoré, tandis que le preneur saisissait le juge des loyers afin d’obtenir la fixation du loyer de renouvellement selon la règle du plafonnement.

Dans le cadre de cette procédure, le bailleur invoquait le bénéfice de la révision du loyer et de la fixation à la valeur locative en cours de bail, pour obtenir un loyer de renouvellement déplafonné. Cette démarche n’était pas accueillie par la cour d’appel.

Dans son pourvoi, le bailleur invoquait tout d’abord une atteinte à ses droits fondamentaux puisque l'application d’un loyer plafonné en renouvellement aboutissait à diviser par plus de trois le loyer fixé à la valeur locative en révision, ce qui serait de nature à créer un déséquilibre flagrant entre les intérêts en présence et rendrait ainsi l’atteinte au droit de propriété illégitime.

Mais la Cour de cassation a déjà jugé qu’il ne résultait pas de l'application de la règle du plafonnement une atteinte ni même une dénaturation du droit de propriété, et qu’elle ne s’avérait donc pas contraire à la constitution (Cass. 3e civ., 13 juil. 2011, n° 11-11072 : Gaz. Pal. 27 oct. 2011, p. 32, note Brault C.E.).

L’argumentation du bailleur était donc logiquement rejetée par la Cour de cassation qui précise que le propriétaire n’était pas privé de tout bénéfice financier et qu’il n’était donc pas fondé à invoquer les dispositions du protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Mais cet arrêt présente une importance réelle sur deux autres points essentiels.

1) Révision déplafonnée en cours de bail et calcul du plafonnement en renouvellement

Pour le calcul du loyer plafonné en renouvellement, la variation des indices doit s’apprécier selon le texte légal « depuis la fixation initiale du loyer du bail expiré ». Ce loyer d’origine s’entend du loyer initial fixé au contrat avec les difficultés qui peuvent désormais en découler depuis la loi dite Pinel du 18 juin 2014.

Lorsque les parties ont convenu de modalités conventionnelles de fixation du loyer avec divers paliers, la haute juridiction a estimé que ce mécanisme ne pouvait exclure la règle du plafonnement et que la variation indiciaire devait alors s’appliquer sur le loyer initial acquitté par le preneur lors de la prise d’effet du bail à renouveler (Cass. 3e civ., 6 mars 2013, n° 12-13962 : Gaz. Pal. 20 avril 2013, p. 26, note Brault C.E.).

En l’espèce, la Cour de cassation maintient sa jurisprudence en rappelant que le loyer plafonné en renouvellement doit être calculé à partir du loyer fixé par les parties lors de la prise d’effet du bail, et ce nonobstant une fixation judiciaire du loyer révisé intervenue entre-temps.

2) Révision du loyer en cours de bail et motif de déplafonnement

En application des dispositions combinées des art. L. 145-34 et R. 145-8 C. com., le loyer peut être déplafonné en renouvellement lorsque les obligations respectives des parties ont été modifiées notablement en cours de bail.

En l’espèce, la cour d’appel avait estimé que le loyer révisé judiciairement à la valeur locative, quelques mois avant la prise d’effet du renouvellement, ne constituait pas une modification notable des obligations respectives des parties puisque cette fixation du loyer révisé était intervenue en application des dispositions légales.

Mais dans son pourvoi, le bailleur soutenait que la révision rendait techniquement impossible l'application de l’indice de variation utilisé pour le calcul du plafonnement au loyer d’origine, lequel ne correspondait plus à celui effectivement appliqué par les parties mais à un nouveau montant fixé par le juge des loyers. Ce faisant, le bailleur ne visait pas directement un motif de déplafonnement du loyer tiré d’une modification des obligations des parties, mais une impossibilité de calculer le loyer plafonné en raison d’une modification du loyer fixé judiciairement en cours de bail.

Selon la jurisprudence, il est admis qu’une modification du loyer dans des conditions étrangères à la loi et au bail initial peut justifier le déplafonnement du loyer lors du renouvellement (Cass. 3e civ., 24 mars 2004, n° 02-16933 : Gaz. Pal. 16 avril 2005, p. 25, note Brault C.E.) si cette modification est suffisamment importante, car seule une modification notable peut justifier alors le déplafonnement (Cass. 3e civ., 24 mai 2017, n° 16-15043).

Lorsque la fixation du loyer en cours de bail intervient sur le fondement des dispositions légales, tel l'art. L. 145-39 C. com., et non dans un cadre amiable, aucune modification conventionnelle du loyer dans des conditions étrangères tant à la loi qu’au bail initial ne peut être retenue (CA Paris, 15 févr. 2012, n° 10/05366 : Gaz. Pal. 2012, p. 1705, note Brault C.E.).

La Cour de cassation rappelle donc le principe dans la continuité de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris.