Redressement judiciaire

Philippe-Hubert BRAULT,
Avocat à la Cour

En l’absence de mise en demeure par le contractant, la renonciation de l’administrateur à la poursuite du contrat n’entraîne pas la résiliation de plein droit de la convention à son initiative, mais confère au seul cocontractant le droit de la faire prononcer en justice et une telle démarche n’entre pas dans les attributions du juge-commissaire.

Références : Cass.com., 19 mai 2004, Sté La Brûlerie d’Adamville et M. Brun c/ Me Bruno Sapin, ès qu., et SCI Messidor (pourvoi c/ CA Lyon, 3ème Ch., 7 juin 2001).

 

NOTE : Les textes qui régissent les procédures collectives comportent des dispositions à caractère général, notamment au titre des contrats - tel est le cas des articles L 621-28 et L 621-40 du Code de commerce - tandis que d’autres concernent plus spécifiquement le bail commercial affecté à l’activité de l’entreprise (articles L 621-29, L 621-30, L 621-31 et L 622-13).

Ces derniers textes n’ont pas vocation à s’appliquer en cas d’ouverture d’une procédure collective du chef du bailleur où la poursuite du contrat peut susciter des difficultés dans des conditions de nature à entraîner l’exercice du droit d’option selon l’article L 621-28, le bailleur pouvant se trouver contraint d’exécuter toutes les réparations requises dans les termes du bail, nonobstant toute déclaration de créances au titre desdits travaux (Cass. com. 29 avril 2002, Gaz. Pal. n° Spécial Baux commerciaux, 1er février 2003, p. 11, obs. Ph.-H. Brault).

Faute de disposer des fonds nécessaires à l’exécution de travaux de mise en conformité ou d’entretien, l’administrateur peut-il s’en affranchir en se prévalant de la résiliation de plein droit découlant de l’article L 621-28 ?

Dans l’affirmative, le locataire peut se voir privé de son fonds de commerce, sans indemnité, comme cela pourrait être le cas - en l’absence de toute faute imputable au bailleur - sur le fondement de l’article 1722 du Code civil.

L’arrêt déféré à la censure de la Cour de cassation (CA Lyon, 3ème Ch., 17 juin 2001, Juris-Data n° 148159) avait estimé irrecevable l’appel-nullité formé par les preneurs à l’encontre d’un jugement du Tribunal de commerce de Lyon qui avait confirmé les ordonnances rendues par le juge-commissaire sur le fondement de l’article 61-1 du décret prononçant la résiliation des deux baux commerciaux sur la requête de l’administrateur judiciaire, en estimant que cette décision avait été rendue dans la limite de ses pouvoirs.

Indépendamment du pourvoi, cette affaire avait connu d’autres prolongements judiciaires, puisque la Cour de Paris a rejeté une demande de fixation et paiement d’indemnité d’éviction, en l’absence de toute notification d’un congé avec refus de renouvellement comme d’une déclaration de créance de dommages-intérêts sur le fondement de l’article L 621-28 (CA Paris, 3ème Ch., 14 mars 2003, Gaz. Pal. 2003.2, somm. p.3175 note Ph.-H. Brault).

En l’espèce, bien que la question posée porte sur les pouvoirs du juge-commissaire qui avait prononcé la résiliation des baux et la recevabilité de l’appel-nullité, la Cour de cassation a précisé la portée de la résiliation de plein droit visée par les alinéas 1 et 3 de l’article L 621-28 du Code de commerce : celle-ci ne doit s’appliquer qu’après mise en demeure de l’administrateur par le cocontractant et même dans ce cas l’intervention du juge-commissaire n’est pas inéluctablement requise (Cass. com., 18 mars 2003, D. 2003, act. p. 972, obs. A. Lienhard).

On ne manquera pas de rapprocher cet arrêt de la décision rendue par la Cour de Caen (11 mai 2001, Gaz. Pal. 2002, 1, pan. Jurisp.p 68, note Ph.-H. Brault) qui avait déjà restreint le domaine d’application de la résiliation de plein droit, en estimant que celle-ci ne pouvait se concevoir que dans le cas où « [...] c’est le preneur qui fait l’objet d’une procédure collective », et que l’article 37 (devenu l’article L 621-28) « [...] n’autorise incontestablement pas le mandataire liquidateur de la bailleresse de murs commerciaux à résilier de plein droit sans motif sérieux un tel contrat soumis au statut des baux commerciaux...».

Si la distinction proposée entre le redressement et la liquidation judiciaire apparaît inopérante au regard du texte légal, il reste que l’impossibilité pour le bailleur en redressement ou en liquidation judiciaire de faire face à ses obligations contractuelles ne pourrait être sanctionnée que selon le droit commun (article 1722 ou 1741 du Code civil) et non selon la législation propre aux procédures collectives.

On peut alors s’interroger sur la portée du droit reconnu à l’administrateur de dénoncer le contrat en cours, et ce même si initialement il a déclaré opter pour la continuation du contrat, alors que le droit d’option lui a été reconnu jusqu’à présent par la jurisprudence (CA Paris, 16ème Ch. A, 16 mai 2001, Loyers et copr. 2002, com. n° 39) - (cf. sur cette question : note A. Lienhard s/ Cass. com. 19 mai 2004, D. 2004, act. p. 1668).