Décisions récentes commentées par Maître Charles-Edouard BRAULT

COMMENTAIRES A LA GAZETTE DU PALAIS, NUMERO SPECIAL DROIT DES BAUX COMMERCIAUX, DU 22 NOVEMBRE 2015 :
 
" Le non-respect d'un échéancier entraîne l'acquisition de la clause résolutoire (Cass 3e civ 8 octobre 2015, n°14-15.152) :
 
Ayant relevé que l'accord invoqué par la locataire sur un échéancier de payement de la dette ne l'avait pas été et que l'échéancier prévu par le premier juge n'avait pas non plus été respecté, la cour d'appel en a exactement déduit que la clause résolutoire était acquise.
 
La Haute Juridiction a estimé que le juge du fond ne pouvait accorder de nouveaux délais au locataire qui n'avait pas respecté l'échéancier fixé par le Juge des référés (Cass. 3e civ., 2 avril 2003, n°01-16834, Loy. et cop. 2003, comm. n°111 ; Cass. 3e civ, 15 octobre 2008, n°07-16725, Gaz. Pal. Journal 7 février 2009 p. 36).
 
En l'espèce, faute d'avoir respecté l'échéancier fixé par le tribunal ou d'avoir sollicité de nouveaux délais devant la cour d'appel, la clause résolutoire s'avérait définitivement acquise avec les conséquences qui en découlent.
 
" La prescription n'est pas interrompue par l'assignation signifiée par un preneur qui se prévaut de la prescription (CA Grenoble Ch. comm., 24 septembre 2015, n° 13/04498) :
 
Le délai de prescription de 2 ans prévu à l'article L.145-60 du code de commerce est interrompu par la délivrance d'un mémoire et, par conséquent, un nouveau délai court à compter de cette date qui peut être interrompu par une citation en justice.
 
Cependant, la prescription n'est pas interrompue par l'assignation signifiée par la partie qui se prévaut de la prescription à celui contre lequel elle prétend avoir prescrit.
 
Le juge des loyers commerciaux ayant été saisi par les locataires qui se prévalent de la prescription, la demande en fixation d'un loyer déplafonné par la bailleresse est prescrite à défaut de délivrance d'un acte interruptif de prescription dans le délai de 2 ans de son mémoire.
 
Selon le principe posé par la jurisprudence, une prescription n'est pas interrompue par l'assignation signifiée par la partie qui se prévaut de la prescription à celui contre lequel elle prétend avoir prescrit.
Pour interrompre une prescription, la citation en justice doit donc être signifiée à celui que l'on veut empêcher de prescrire, tandis que seul celui qui agit peut profiter de l'interruption de la prescription.
 
COMMENTAIRES A LA GAZETTE DU PALAIS, NUMERO SPECIAL DROIT DES BAUX COMMERCIAUX, DU 1ER MARS 2016 :
 
" La prescription biennale s'applique aux seules actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux (Cass. 3e civ. 14 janvier 2016, n° 14-23.134) :
 
Pour déclarer prescrite l'action du locataire, la cour d'appel retient que toutes les actions relatives au bail commercial se prescrivent par deux ans.
 
En statuant ainsi, alors que la prescription biennale s'applique aux seules actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux, la cour d'appel a violé l'article L. 145-60 du code de commerce.
 
  Seules les actions exercées en vertu du statut des baux commerciaux (article V du titre IV du livre 1er du Code de commerce) sont soumises à la prescription biennale et toutes les autres actions, qui ont un autre fondement juridique, relèvent des règles de droit commun relatives à la prescription.
 
La procédure engagée en l'espèce par le preneur ayant pour fondement le défaut de réalisation de travaux par le bailleur, il s'agissait d'une action qui n'avait pas pour fondement un droit spécifique prévu par le statut des baux commerciaux, de telle sorte qu'elle était soumise à la prescription de droit commun de cinq années.
 
" L'offre d'un local de remplacement doit porter sur un local existant (Cass. 3e civ. 14 janvier 2016, n° 14-19.092) :
 
Si le bailleur avait, à la date de délivrance du congé, débuté la construction de la nouvelle galerie marchande et communiqué aux preneurs un plan des lieux et du local offert, le local proposé en remplacement n'existait pas au moment où le congé a été délivré.
 
Par ce seul motif, la cour d'appel a justifié sa décision de condamner le bailleur au paiement d'une indemnité d'éviction.
 
  Par cet arrêt destiné à la publication au bulletin, la Cour de cassation confirme les principes posés il y a 40 ans : le local de remplacement doit être existant pour être mis à la disposition du locataire évincé, ce qui n'est pas le cas d'un local que le bailleur se propose de construire, tandis que la date à prendre en considération pour apprécier si le local offert par le bailleur correspond aux besoins et possibilités du locataire évincé est celle du refus de renouvellement ou du congé, et non celle correspondant à la sortie du locataire.
 
Lorsque cette condition est remplie, c'est au juge du fond d'apprécier si les caractéristiques du local de remplacement correspondent effectivement aux critères posés par le texte et donc aux besoins et possibilités du locataire évincé pour un emplacement équivalent.
 
COMMENTAIRES A PARAITRE A LA GAZETTE DU PALAIS, NUMERO SPECIAL DROIT DES BAUX COMMERCIAUX, DE JUILLET 2016 :
 
" Obligations du bailleur d'un centre commercial (Cass. 3e civ, 26 mai 2016, n° 15-11.307) :
 
La cour d'appel qui a relevé que les parties communes du centre commercial étaient dans un état en rapport avec l'âge du centre mais non dans un état d'abandon faute d'entretien et retenu que les locataires ne démontraient pas la réalité ni l'ampleur des manquements allégués a pu en déduire que les bailleresses n'avaient pas failli à leur obligation d'entretien des parties communes.
 
Ayant exactement retenu que l'obligation de maintenir un environnement commercial favorable était une obligation de moyens et relevé que les bailleresses, devenues propriétaires en 2007 avaient, par un mandat exclusif, donné mission à une société gestionnaire à la compétence reconnue de mettre en œuvre les actions nécessaires à la recherche de nouveaux locataires pour les locaux vacants et engagé dans un délai raisonnable un projet de restructuration du centre destiné à offrir aux commerçants un cadre totalement rénové, la cour d'appel a pu décider que les bailleresses avaient satisfait à leur obligation contractuelle.
 
  Jusqu'à présent, on savait que le bailleur d'un centre commercial ne contractait aucune obligation particulière destinée à assurer le maintien d'un environnement commercial puisqu'il serait simplement tenu d'assurer la délivrance, l'entretien et la jouissance paisible de la chose louée conformément aux dispositions des articles 1719 et 1720 du Code civil (Cass. 3e civ., 12 juillet 2000 n° 98-23171).
 
Ceci étant, la haute juridiction retient dorénavant que le bailleur d'un centre commercial a une obligation de maintien d'un environnement commercial favorable mais que cette obligation est une simple obligation de moyens.
 
Il paraît logique que l'obligation de délivrance soit étendue pour les centres commerciaux et galeries marchandes alors que les baux signés par les locataires s'assimilent à de véritables contrats d'adhésion…
 
Il appartient donc au bailleur de justifier des dispositions prises pour maintenir l'environnement commercial de la galerie marchande et tel était le cas en l'espèce.
 
" Déplafonnement et applications des paliers de 10 % (CA Paris, Pôle 5, Ch. 3, 2 décembre 2015, n° 14/09224) :
 
La demande d'application du nouvel article L 145-34 du code de commerce issue de la loi du 18 juin 2014 doit être rejetée, la modification issue de l'application de la loi nouvelle n'étant applicable, conformément à l'article 21 de la loi, qu'aux baux conclus ou renouvelés à compter premier jour du troisième mois suivant le 18 juin 2014, date de promulgation de la nouvelle loi, alors que le renouvellement du bail considéré prend effet au 1er octobre 2010.
 
  En l'espèce, la Cour a écarté l'application des paliers dès lors que le renouvellement prenait effet au 1er octobre 2010.
 
C'est donc uniquement la date à laquelle le renouvellement prend effet qui doit être prise en considération, et ce quelle que soit la date à laquelle l'avenant de renouvellement sera signé par les parties comme la date à laquelle le juge statue définitivement sur le montant du loyer du bail renouvelé.
 
Alors que la loi nouvelle a prévu des dispositions spécifiques pour l'entrée en vigueur des paliers en cas de déplafonnement des loyers renouvelés ou révisés, il faut donc privilégier la date de signature pour les nouveaux baux et la date d'effet pour les renouvellements pour que ces nouveaux paliers soient appliqués.
 
" Acquisition de la clause résolutoire et principe de la suspension des poursuites (Cass. 3e civ, 26 mai 2016, n° 15-12750) :
 
L'action introduite par le bailleur avant la mise en redressement judiciaire du preneur en vue de faire constater l'acquisition de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers ou des charges échues antérieurement au jugement d'ouverture de la procédure ne peut, dès lors qu'elle n'a pas donné lieu à une décision passée en force de chose jugée, être poursuivie après ce jugement.
 
  L'article L 622-21-I du code de commerce pose le principe de la suspension des poursuites en matière de redressement judiciaire et le jugement d'ouverture de la procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice de la part des créanciers dont la créance tend à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ou à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent.
 
Ce principe avait fait l'objet d'une jurisprudence abondante sous l'empire des anciennes dispositions du code de commerce et se trouve maintenu avec les nouvelles dispositions, de telle sorte qu'un bailleur ne peut se prévaloir du bénéfice de la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers et charges dès lors qu'une décision déclarant acquis le bénéfice de la clause résolutoire n'est pas passée en force de chose jugée à la date du jugement de la procédure collective.
 
Ce n'est que dans l'hypothèse où la clause résolutoire est définitivement acquise avant l'ouverture de la procédure collective que le bailleur peut alors poursuivre l'expulsion du preneur puisqu'il s'agit d'une voie d'exécution qui échappe aux dispositions de l'article L 622-21.
 
" Validité d'une clause résolutoire et application de la loi du 18 juin 2014 dans le temps (CA Paris, Pôle 5, Ch. 3, 10 février 2016, n° 13/23690) :
 
Les dispositions de la loi dite PINEL du 18 juin 2014, quoique d'application immédiate, ne sont pas applicables aux procédures en cours ; l'instance judiciaire a débuté par l'assignation délivrée par la locataire le 24 novembre 2011, de telle sorte que la loi du 18 juin 2014 n'était pas en vigueur à la date de la saisine du juge ; la demande tendant à voir dire non-écrite la clause du bail qui dispose que le preneur encourt la résiliation du bail à défaut d'exécution d'une seule des conditions du bail quinze jours après une mise en demeure restée infructueuse, par application des dispositions de l'article L 145-15 en sa version nouvelle, ne peut prospérer, la locataire pouvant seulement invoquer la nullité de la clause résolutoire par application de l'article L 145-15 ancien du code de commerce.
 
Cette demande de nullité est invoquée par voie d'action et non d'exception et cette action se heurte à la prescription biennale prévue à l'article L 145-60 du code de commerce.
 
 La loi du 18 juin 2014 qui a remplacé la sanction de la nullité par le réputé non-écrit est entrée en vigueur le 20 juin conformément à l'article 1er du code civil, et ce à l'exception des dispositions qui sont expressément entrées en vigueur à une date prévue par la loi.
 
S'il est admis que les contrats en cours demeurent régis par la loi sous l'empire de laquelle ils ont été conclus, il ressort de la jurisprudence que les effets légaux d'un contrat sont régis par la loi nouvelle, et ce principe a trouvé à s'appliquer pour l'application de la loi dite MURCEF du 11 décembre 2001 qui a modifié l'article L 145-38 et pour la réforme des congés découlant de la loi LME du 4 août 2008.
 
En l'espèce, la cour ne s'est pas placée sous cet angle en estimant qu'il convenait simplement de retenir la date de saisine du tribunal alors que les dispositions de la nouvelle loi ne pouvaient s'appliquer aux procédures en cours.
 
Mais la survie de l'ancienne sanction n'apparaît pas justifiée et le nouveau régime du réputé non-écrit devrait donc s'appliquer aux contrats en cours.
 
" Plan de cession et clauses restrictives du bail (Cass. com, 1er mars 2016, n° 14-14716) :
 
Sauf disposition contraire du jugement arrêtant le plan de cession, la cession judiciaire forcée du bail commercial en exécution de ce plan n'est pas soumise aux exigences de forme prévues par ce contrat.
 
A violé l'article L 642-7 du code de commerce rendu applicable par l'article L 631-22 du code de commerce au plan de cession arrêté à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, la Cour d'appel qui a constaté que la cession du fonds avait eu lieu par acte sous seing privé contrairement aux clauses du bail prévoyant que toute cession devait être authentique et retenu que le non-respect de ces exigences de forme constituait une infraction aux clauses du bail qui présentait un caractère de gravité suffisante pour conduire à la résiliation de celui-ci.
 
 L'article L 145-16 du Code de commerce prohibe les clauses qui ont vocation à interdire la cession et la jurisprudence reconnait de longue date la validité des clauses qui peuvent subordonner la cession à des contraintes particulières tel que le recours à un acte authentique.
 
Ces clauses restrictives ne sont pas opposables en cas de plan de cession et ce en raison du caractère forcé de la cession qui intervient en application de l'article L 642-7 du code de commerce.
 
La solution serait différente si la cession intervenait dans le cadre d'une cession isolée des actifs en liquidation judiciaire puisque dans cette hypothèse il appartiendrait au liquidateur de respecter les formalités prévues au bail (l'article L 641-12-3° prévoit alors que le liquidateur peut céder dans les conditions prévues au bail ce qui impose le respect des conditions de forme telle celle prévoyant une cession par acte authentique).